Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Constantinople ou chercherait à obtenir une constitution particulière : voilà de quoi alarmer l’Autriche. La question du sandjak de Novi-Bazar, celle du chemin de fer qui le traverse, de Sarajevo à Mitrovitza, sont grosses des pires difficultés. Il y a aussi une question arabe qui intéresse l’Angleterre, une question du Liban qui nous touche ; il y a une question arménienne ; il y a le problème général de l’avenir des entreprises européennes ; il y a la question des langues ; il y a les questions religieuses : on en ferait un catalogue ! Toutes ces difficultés ne sont pas insolubles, mais il faut y toucher d’une main très légère, les aborder en s’inspirant de la justice, sans espérer trouver les solutions toutes faites dans les principes d’un droit abstrait et absolu. Il faut surtout sérier les questions et attendre beaucoup du temps. Des plus justes principes, une application précipitée peut faire sortir les plus injustes conséquences.


Nous avons tenu à ne rien cacher des périls dont certainement plusieurs seront épargnés à la Turquie nouvelle, mais dont, certainement aussi, plusieurs se dresseront devant elle ; nous estimons, ce faisant, avoir donné au mouvement du Comité Union et Progrès la meilleure marque des sympathies qu’il nous inspire. Nous n’en sommes que plus fort, sous les quelques réserves que nous avons dû faire, pour dire combien son succès nous paraît souhaitable. Ce succès, nous l’espérons fermement. D’échecs anciens, il n’y a pas de raisons de conclure à un échec futur, et de ce qu’il surgira des difficultés, il ne s’ensuit pas qu’une entreprise si bien commencée soit destinée à échouer.

Un souffle puissant soulève tout l’Orient, fait tressaillir au loin la vieille Asie depuis le Bosphore jusqu’au Gange ; le monde musulman tout entier, attentif et frémissant, attend son heure, se prépare. Au nom des grandes idées de liberté des hommes et de liberté des peuples, de fraternité universelle, d’égalité des races et des classes, d’égal respect de toutes les confessions religieuses, les peuples orientaux, si longtemps immobiles et muets, entrent en branle. Après la Russie et les pays balkaniques, le mouvement transfigure la Perse et la Turquie. Cet irrésistible levain de liberté, cette ivresse prodigieuse des esprits et des cœurs, cette fanfare de grands mots dont le contenu échappe à l’analyse et qui pourtant ont bouleversé le monde, cette puissance d’illusions qui se transforme en une formidable