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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/170

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universelle de 1867, par ces troupes de tziganes, très répandues aujourd’hui, mais qui parurent alors une véritable révélation. En compagnie d’un compositeur éminent, désireux, comme moi, de les entendre, j’étais convenu d’un rendez-vous avec M. Szarvady, le mari de Mlle Wilhelmine Clauss, la célèbre pianiste récemment décédée. Connaissant leur chef, M. Szarvady, son compatriote, lui signalait notre présence et l’incitait à faire de son mieux. Ce chef, un petit homme roux, pâle et grêle, dont les yeux illuminaient le visage, annonçait brièvement à ses musiciens la tonalité du thème initial, une sorte de prélude, lent, un peu vague, destiné à les mettre en communication avec le public. Puis, d’un mouvement brusque, le signal était donné par lui et, animée d’un même souffle, la troupe, obéissant à je ne sais quel courant magnétique, entrait en branle. Que tout fût excellent et de valeur égale dans les inventions de ces exécutans, que leur entrain constant ne fût pas mêlé de quelques incohérences, je ne saurais le prétendre. Mais bientôt, sous le regard farouche et impérieux du maître, ils retrouvaient leur cohésion, leur assurance. Celui-ci paraissait être partout à la fois ; les pressant, les retenant tour à tour, il se faisait comprendre. A certains momens, quittant le bâton de commandement, il prenait lui-même son violon et, de quelques notes jetées à la hâte, il précisait un mouvement, affirmait une direction. L’idée ébauchée par lui était aussitôt saisie au vol, acceptée et complétée par tous. A la fois indépendans et dociles, ils ne semblaient plus qu’un seul être, possédé du démon de la musique. Comment se comprenaient-ils ainsi, sans échanger une parole ? Quelle fougue les envahissait alors et les élevait en quelque sorte au-dessus d’eux-mêmes ? Ils auraient été incapables de le dire. Et quand, à la fin, grisés de leur propre entrain, stimulés par l’admiration croissante du public, ils entonnaient, pour conclure, leur hymne national, une émotion pareille remplissait le cœur de tous. Leurs auditeurs, transportés comme eux, restaient subjugués par la beauté imprévue de leurs trouvailles et par le spectacle de leurs visages transfigurés.


III

Pour être moins apparente dans ses manifestations, l’éducation des organes du corps humain est tout aussi nécessaire dans