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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/173

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le plus pittoresque et s’y arrêter. Pour y parvenir, pour conserver nettement le souvenir de ces divers aspects, certains artistes adoptent des modes de notations plus ou moins expéditifs, appropriés à leurs convenances particulières, principalement des séries de chiffres dont la succession leur permet d’embrasser l’échelle complète des valeurs et de marquer ainsi leurs relations respectives.

Mais, avant d’arriver à établir cette notation qui suppose déjà une certaine expérience, il est bon que l’artiste s’y prépare en peignant des objets immobiles, exposés sous une lumière à peu près constante. L’étude de la nature morte lui en fournit les moyens. Cette étude qui, au début surtout, doit tenir une grande place, il importe qu’il ne la néglige à aucun moment de sa carrière : elle a fait pour certains maîtres une part notable de leur force. En cherchant à représenter des fleurs, des légumes, des fruits, des animaux morts, des objets de toute sorte, qu’ils peuvent grouper à leur gré, et en s’efforçant de mettre dans leur exécution toute la perfection dont ils sont capables, ces maîtres trouvent l’occasion d’un travail qui peut leur être singulièrement utile. Rubens s’y est plus d’une fois appliqué ; et, au commencement de sa carrière, Rembrandt a peint pour les lettrés de Leyde plusieurs de ces tableaux, connus sous le nom de Vanitas, où il avait réuni des objets symboliques, emblèmes de la fragilité de la vie humaine. Plus tard, il ne cessa jamais de revenir à une pareille pratique, et les nombreux spécimens qu’on en peut relever dans son œuvre peint, dessiné ou gravé, attestent le plaisir et le profit qu’il y trouvait. Ce procédé d’étude, érigé en méthode, entrait dans l’éducation des peintres espagnols, et les Bodegones de Velazquez sont justement célèbres par la franchise élégante de la facture et la beauté de la couleur. On peut voir aussi tout ce que, dans ces humbles sujets, Chardin a su mettre de talent, la grâce et l’ampleur de sa touche, cette bonhomie et cette savoureuse simplicité qui le font reconnaître entre tous. Eugène Delacroix se reposait de ses grandes compositions décoratives en peignant, à Champrosay, les fleurs de son jardin, et une admirable toile de la collection Moreau-Nélaton, avec ses pièces de gibier mort d’une tonalité si éclatante, nous le montre supérieur en ce genre aux spécialistes flamands ou hollandais les plus réputés. Récemment enfin, les tableautins dans lesquels Fantin-Latour étudie avec amour un bouquet de modestes