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moyen de contrôle et de repérage. C’est par l’emploi combiné de verticales et d’horizontales que nous nous rendons compte de l’assiette des terrains, de l’équilibre des eaux, de l’aplomb des figures, de la régularité d’objets disposés symétriquement par rapport à un axe, etc.

Comme le musicien d’ailleurs, le peintre doit transposer, puisqu’il s’agit pour lui, suivant les proportions déterminées par sa toile, de tracer sur une surface plane l’apparence d’objets ayant chacun leur volume et occupant des positions différentes dans l’espace. D’instinct et presque sans y prendre garde, il arrive à triompher d’une autre difficulté : celle de retenir dans son esprit le souvenir des formes qu’il a sous les yeux. Si court qu’il soit, il y a, en effet, un intervalle entre le moment où il regarde ces formes et celui où il en reproduit l’image. C’est à développer cette faculté que s’applique la méthode dite d’Education de la mémoire-pittoresque, formulée et propagée par M. Lecoq de Boisbaudran, et qui consiste, après avoir mis l’élève en présence du modèle qu’il doit représenter, à dérober ensuite ce modèle à sa vue pour qu’il le dessine de nouveau, mais cette fois de souvenir. Grâce à une série d’exercices logiquement combinés, les résultats obtenus par cette méthode ont été remarquables, et cependant, malgré son excellence, attestée par les élèves éminens qu’elle a produits, il est permis d’affirmer qu’elle n’a pas encore reçu dans la pratique toute l’importance qu’elle mériterai !,. Un tel procédé, en effet, a aussi pour objet de développer indéfiniment l’esprit d’observation, de révéler, parmi les traits de la réalité qu’il convient de retenir, ceux qui sont essentiels et vraiment caractéristiques. Il s’applique d’ailleurs aussi bien à la couleur qu’au dessin, et seul il permet d’étudier dans la nature les effets fugitifs dont la rapidité déconcerte l’artiste qui veut les reproduire. La nature, on le sait, ne met aucune complaisance à poser devant lui, et ses aspects sont d’une mobilité incessante. Elle fait et défait à chaque instant sous nos yeux les spectacles les plus séduisans. Le matin, à mesure qu’il travaille à une étude en plein air, le paysagiste s’aperçoit que la lumière, d’abord douce et voilée, devient de plus en plus éclatante et enfin partout égale, tandis qu’inversement, vers le déclin du jour, c’est l’obscurité qui gagne peu à peu, jusqu’à rendre invisible tout ce qui nous entoure. En présence d’une pareille instabilité, il faut évidemment se décider, prendre un parti, choisir le moment qui semble