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Pichler, connu par ses travaux sur le schisme grec ; les plus avisés soupçonnaient Doellinger. Cinq mois et demi plus tard, ces articles, remaniés et complétés, parurent en un volume, sous l’équivoque pseudonyme de Janus. L’auteur y développait une thèse érudite au profit d’une manœuvre politique. La manœuvre consistait à insinuer que tout développement de la puissance pontificale serait incompatible avec les principes fondamentaux des États modernes ; devant des lecteurs prompts à l’effroi, la docte mémoire d’Ignace Doellinger évoquait les bulles antiques dans lesquelles des papes affirmaient leur droit de déposer les rois ou de sévir contre l’hérésie. A regarder de près la plus terrible d’entre elles, la bulle Unam sanctam de Boniface VIII, on constate sans peine que, strictement parlant, le privilège de l’infaillibilité ne s’applique, dans ce document, qu’à une ligne d’affirmations expresses, formelles, solennellement accompagnées du mot Declaramus : « Nous déclarons, en conséquence, que toute créature humaine est soumise au Saint-Siège ; » et ces mots tels quels, pris en soi, n’offrent rien d’alarmant pour les rois, même pour les républiques. Mais ces distinctions paraissaient subtiles aux profanes, mal accoutumés à comprendre que, dans certains domaines, il est nécessaire de distinguer si l’on ne veut pas confondre ; et l’ensemble des documens alignés par Doellinger laissait à la simplicité publique cette impression qu’un accroissement de la primatie pontificale mettrait en grave péril l’autonomie des États.

Au surplus, Doellinger, biffant des pages entières de son Histoire de l’Église, exposait une thèse nouvelle d’après laquelle les progrès de la papauté, dans le passé même, avaient résulté d’une série d’usurpations. Jusque vers le milieu du IXe siècle, cette puissance s’était conduite correctement, développée normalement ; une fois parues les Fausses Décrétales, elle n’avait plus été qu’une excroissance morbide[1]. On verra plus tard, après la mort d’Ignace Doellinger, l’un des disciples de ce maître attaquer l’authenticité des fameux canons de Sardique, de l’année 343, et s’efforcer ainsi de faire remonter jusqu’au

  1. Le dernier historien critique des « origines de la monarchie ecclésiastique romaine, » M. Babut, déclare tout net que la thèse de Doellinger est d’une « fausseté énorme, » et que l’œuvre de Grégoire VII « ne fut pas une création, mais un essai de restauration de la papauté du Ve siècle. » (Bulletin des Bibliothèques populaires, 1906, p. 58).