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qu’il allait infliger aux Lettres romaines publiées par cette Gazette sous le pseudonyme de Quirinus.

Dans l’Europe entière, ce Quirinus était lu, traduit, commenté ; lui seul prétendait savoir tout ce qui se passait au concile ; on se courbait, séduit, sous le poids de son érudition dédaigneuse et de ses ironies passionnées ; on le prenait pour un photographe du concile, et, de confiance, on s’abandonnait à lui. Lui, c’était encore et toujours Doellinger. C’est à Munich même que fonctionnait son appareil photographique ; la distance et la haine aidant, les portraits se troublaient, se décomposaient, devenaient des caricatures. « Pie IX, écrivait-il un jour, est totus teres atque rotundus, solide et inébranlable, avec cela, lisse et dur comme du marbre, pauvre en pensées, ignorant, sans intelligence pour les conditions spirituelles et les besoins spirituels de l’humanité, sans aucune idée du caractère des nationalités étrangères, mais croyant comme une nonne, et, avant tout, profondément pénétré de respect pour sa propre personne comme pour le vase du Saint-Esprit ; en outre, absolutiste des pieds à la tête, et tout plein de cette pensée : Moi, et hors de moi, personne. » Derrière le Pape, Quirinus faisait s’entasser une masse d’ignorans, élevés dans des pays où l’on imprimait à peine autant d’écrits théologiques en un demi-siècle que l’Allemagne en imprimait en un an, bourrés de scolastique, vides de toute autre idée ; c’étaient les évêques de la majorité ; et parmi eux, il montrait du doigt les « parasites, » ceux dont le Pape avait payé le voyage et le gîte, c’étaient les Orientaux et les vicaires apostoliques. Quirinus ajoutait que ces évêques de la majorité, — esprits médiocres, âmes médiocres, — ne représentaient, en définitive, qu’une minorité dans l’Église ; car, en général, les évêques de l’opposition régnaient sur de plus grands diocèses : ils exprimaient, dès lors, la foi d’un plus grand nombre de fidèles, et l’assemblée conciliaire était le produit d’une géométrie électorale qui, d’avance, en viciait les décisions.

En vain les prélats mêmes de la minorité, s’adressant à leurs ouailles, parlaient-ils du concile comme d’une assemblée inspirée de Dieu, interprète de Dieu ; Doellinger le ravalait à n’être qu’une sorte de « parlement croupion, » mensonger, discrédité.