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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/261

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nous fera pas la guerre pour nous empêcher d’annexer la Bosnie et l’Herzégovine. » — « Si vous lui permettez d’annexer de son côté la Bulgarie, évidemment. » — « La Russie officielle se déclare désintéressée. Elle n’a tiré l’épée, dit-elle, que pour améliorer le sort des Chrétiens... Elle peut occuper la Bulgarie, l’organiser, y créer une administration indigène. Mais qu’elle n’y reste pas ! L’indépendance des bouches du Danube est, pour nous, un dogme. Si la Russie nous trompe et foule ce dogme aux pieds, nous nous battrons, c’est chose décidée. Notre position militaire nous assure l’avantage. » — « Et la Prusse ? » — « La Prusse sera pour nous, et nous pouvons compter, à tout le moins, sur une neutralité bienveillante de sa part. Nous sommes sûrs de ses dispositions. » Là gît le secret du calme et de la sérénité avec lesquels le comte Andrassy a laissé se dérouler, jusqu’ici, la question d’Orient.


C’est après avoir lu ce document, qui éclaire et dévoile tout (l’entente austro-allemande, la convention de Reichstadt, etc.) ; c’est après en avoir souligné lui-même l’intérêt, que le ministre français est repris de ses hésitations et de ses craintes, ne sachant dégager sa ligne de conduite et n’osant faire un pas.

La France pouvait choisir. Elle avait sa richesse, sa force reconstituée, sa clientèle orientale ; tout cela pèse. Ce qui était visé, c’était les traités qui avaient été son œuvre. Elle avait qualité soit pour les défendre, soit pour les modifier. L’Allemagne n’avait, pas plus que la France, envie d’une nouvelle guerre, en un temps où, de toute façon, elle eût eu contre elle plus d’un adversaire. Cela laissait à notre diplomatie, même pacifique, une réelle latitude.

Ce n’était ni la compréhension des choses, ni les avertissemens qui manquaient aux ministres français, mais seulement une résolution tranquille et claire. On était en pleine crise du Seize-Mai. L’intérieur attirait tous les regards, allumait toutes les passions. Si le gouvernement tremblait pour le pays, il tremblait aussi pour lui-même, engagé qu’il était dans une aventure si dangereuse, réduit à plaider sa cause devant l’étranger. Pourquoi faut-il que la correspondance privée du duc Decazes, si intéressante et si honorable à tant de points de vue, se ferme sur ce plaidoyer pro domo qu’il adresse, en août 1877, à M. de Gontaut-Biron ?


N’y a-t-il donc rien à faire pour éclairer les esprits sur ce que nous voulons et faisons pour dissiper ce fatal malentendu qui pèse sur nous ? (Il s’agit du Cabinet.) Depuis quatre années, j’ai mis tous mes soins, j’ai consenti à tous les sacrifices, j’ai épuisé la coupe de toutes les amertumes