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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/262

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pour essayer de faire pénétrer à l’étranger une vérité bien éclatante à mes yeux et que j’ai pu prêcher en toute sincérité, à savoir que la France conservatrice était exclusivement dévouée à la politique d’apaisement et de modération, qu’elle abdiquait toute colère et tout ressentiment, qu’elle désavouait toute pensée de revanche et de représailles, qu’elle seule, enfin, pouvait amener la paix générale et qu’elle seule le voulait... Or, il faut bien reconnaître que ces peines sont perdues, que ces sacrifices ont été inutiles et que l’Europe monarchique et conservatrice nous préfère qui ? grands dieux ! les radicaux !...


M. de Gontaut-Biron était convaincu et n’avait pas besoin d’être endoctriné. Quant au prince de Bismarck, si par quelque indiscrétion de la poste, il prit connaissance de cette lettre, écrite, en somme, à son adresse, il dut s’étonner de ne pas y retrouver le jeu serré de son adversaire de 1875[1].


II

La guerre avait été déclarée, le 23 avril 1877. Quoique les Russes fussent décidés depuis novembre, ils étaient insuffisamment préparés ; mais les Turcs l’étaient moins encore. Les débuts de la campagne avaient été lents, de part et d’autre. La diplomatie aussi s’en mêlait. Le général Le Flô écrivait encore le 7 juin :


L’Empereur et son chancelier souhaitent ardemment pouvoir éviter tout acte militaire et politique qui les conduirait à se heurter contre l’Angleterre et à donner ainsi à une puissance quelconque un sujet ou le moindre prétexte de méfiance. Ils désirent n’être pas mis, par la suite des opérations militaires, dans l’obligation de franchir les Balkans, et ils pensent qu’une première victoire de l’armée russe, sur la rive droite du Danube, serait, pour les grandes puissances, l’occasion naturelle d’une intervention bienveillante, dont un Congrès devrait être la conséquence immédiate.


On comptait donc sur un duel au premier sang, avec recours immédiat aux arbitres. Mais les deux campagnes, engagées simultanément, l’une en Europe, et l’autre en Asie, furent fécondes en surprises. En Europe, les Turcs n’avaient opposé

  1. Sur l’embarras profond du duc Decazes et de ses collègues devant l’Europe, rien n’est plus démonstratif que le chapitre premier du livre : Dernières années de l’ambassade en Allemagne de M. de Gontaut-Biron, par André Dreux. Voyez, notamment, p. 19, 37, etc. — A titre de contrôle, un passage des Mémoires du prince de Hohenlohe (6 septembre 1877) : « Nous parlâmes avec Bismarck des élections en France et le chancelier me dit qu’il lui paraissait nécessaire de faire, pendant la période électorale, quelque chose de menaçant..., etc. » (t. II, p. 220).