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aucune résistance sérieuse sur la rive droite du Danube. Les deux armées russes, qui opéraient à 300 kilomètres l’une de l’autre, la première commandée par Zimmermann, sur le bas Danube et la seconde par le grand -duc Nicolas Nicolaïewich, frère de l’Empereur, général en chef, sur le moyen Danube, s’étaient approchés du fleuve et l’avaient franchi sans coup férir, Zimmermann à Galatz et le grand-duc à Zimnitza, près de Sistova.

Au delà du Danube, la chaîne des Balkans est la seule ligne de défense de l’Empire turc, Zimmermann, maintenu par le quadrilatère Varna-Choumla-Routschouk-Silistrie, s’était arrêté. La flotte turque, quoique commandée par un officier anglais, Hobart pacha, qui passait pour habile, avait réduit son rôle à interdire aux Russes l’usage de la mer. La destruction de deux monitors par des torpilleurs russes avait démoralisé le personnel peu marin de la flotte ottomane. Le cours du Danube avait été intercepté par un barrage de torpilles entre Nicopolis et Routschouk.

Le grand-duc Nicolas, ne trouvant aucun obstacle, avait lancé, sous les ordres de Gourko, une avant-garde de 15 000 hommes, avec mission de pousser droit devant lui, tant qu’il pourrait ; Gourko, plein d’entrain, avait marché par Tirnovo, jusqu’au pied des Balkans. Il s’engage dans la montagne, pénètre dans le col de Khankioï, culbute le seul bataillon turc qui défend le passage, descend les pentes méridionales, s’empare de Kezanlik, le 14 juillet, d’Eski-Sagra, et enfin de l’important défilé de Chipka, en l’attaquant par le Sud. Par cette randonnée surprenante, il est libre de déboucher dans la vallée de la Maritza, qui conduit à Andrinople. Donc, ni le Danube, ni les Balkans n’ont protégé la Turquie. Ils n’ont pas même fourni aux Russes l’occasion de cette bataille décisive qui doit arrêter leurs armes victorieuses. C’est une conquête trop facile et dont la facilité même fait le danger.

Les Turcs ne sont jamais pressés. Ils avaient voulu passionnément la guerre et ils l’avaient mal préparée. Ayant, il est vrai, un front très vaste à défendre, ils l’avaient couvert de troupes, depuis l’extrême Arménie jusqu’à la mer Adriatique, se creusant peu la cervelle pour deviner où ils seraient attaqués. Pas d’unité dans le commandement ni dans le gouvernement, Abdul-Kerim, qui était général en chef, ne sait pas se faire obéir de ses lieutenans. Chacun fait à sa guise et tire de son côté.