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A mon passage par Berlin, j’allai voir le prince de Bismarck. Je lui demandai son appui (au Congrès). Je ne puis me rappeler au juste dans quelles expressions il me le promit, mais ce qu’il me dit était à peu près conçu dans ces termes : Il était très satisfait du choix de ma personne ; j’étais le seul homme en Russie en qui il eût pleine et entière confiance, avec lequel il eût plaisir à traiter d’affaires. Je pouvais compter sur lui, et il me montrerait, pendant le Congrès, la sincérité des sentimens qu’il m’avait voués depuis longtemps. Il parlait encore, lorsqu’on vint lui remettre un télégramme déchiffré. Cette dépêche portait que l’Empereur était allé rendre visite au prince Gortschakoff pour lui faire comprendre l’impossibilité qu’il y aurait pour lui, vu son état de santé, de se rendre au Congrès ; mais que, cédant aux instances du chancelier. Sa Majesté avait consenti à Je nommer premier plénipotentiaire à ma place. Cette nouvelle, que le prince de Bismarck lut à haute voix, amena sur ses traits un jeu de physionomie aussi subit que significatif : — « Tout est changé, me dit-il ; nous resterons personnellement amis pendant le Congrès ; mais je ne permettrai pas au prince Gortschakoff de monter une seconde fois sur mes épaules pour s’en faire un piédestal. »


L’ambassadeur ajoute quelques observations aussi précieuses que le récit lui-même pour donner la mesure de ces hauts personnages :


Ce fait est un exemple qui prouve une fois de plus à quel point tout est sacrifié chez nous aux questions personnelles. L’Empereur savait que le prince Gortschakoff était une non-valeur absolue ; il connaissait l’inimitié que le prince de Bismarck ressentait à l’égard du chancelier de Russie ; sa présence à Berlin ne pouvait être que nuisible à notre cause. Tout cela était palpable ; et, cependant, le prince Gortschakoff fut autorisé à venir à Berlin[1].


Gortschakoff, Beaconsfield et Bismarck vont se trouver en scène sur ce théâtre du Congrès !

Ils sont entourés du cortège des ministres européens. Les représentans de l’Allemagne sont, avec le prince de Bismarck, M. de Bülow, le prince de Hohenlohe, ambassadeur à Paris ; le docteur Lothar Bûcher, M. de Radowitz, M. Büsch, le baron de Holstein, M. de Bülow fils (l’actuel chancelier de l’empire), le comte Herbert de Bismarck, le comte de Rantzau, — toute la phalange bismarckienne. Pour l’Autriche-Hongrie, le comte Andrassy, ministre des Affaires étrangères, est accompagné du comte Karolyi, du baron de Haymerlé, du baron de Hübner, etc. Le comte Beaconsfield est le chef de la délégation anglaise

  1. Voyez les aigres réflexions de Bismarck au sujet de l’incident dans ses Souvenirs, t. II, p. 236 et aussi p. 125.