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Non seulement elle nous renseigne sur l’état d’esprit de celui qui sera amené à jouer dans les affaires de son pays un rôle décisif, mais elle met en scène tout le monde politique d’alors et aborde des questions qui ont passionné la France entière. Ecrites sous l’impression des événemens, dans l’émotion qu’elles continuent et qu’elles reflètent, chaudes de la lutte, vibrantes d’enthousiasme ou de colère, ces lettres sont souvent admirables de forme : dans le mouvement de la phrase jaillissent les trouvailles de style, formules saisissantes, mots qui mordent, images poétiques.

Le nouveau député allait être forcé d’habiter Paris, du moins pendant la durée des sessions. Rentrés en France, après leur lugubre voyage, M. et Mme de Lamartine s’étaient enfermés avec leur chagrin. De Mâcon, où ils prolongeaient leur séjour jusqu’à l’entrée de l’hiver, ils avaient chargé Aimé Martin de leur choisir un appartement et de le meubler ; ils craignaient seulement, sur le plan qu’il avait envoyé, qu’il ne l’eût pris beaucoup trop beau. Pour les meubles, Mme de Lamartine recommandait de faire le nécessaire, le convenable, rien de plus : « Nous serons à Paris par nécessité et non par goût d’élégance. Tout cela nous a bien passé, si jamais nous l’avions eu, et Alphonse désire y dépenser le moins possible, ce que vous comprendrez, entre nous, après un voyage comme celui que nous venons de faire. Ainsi il faut que vous ayez la bonté de préparer les choses de manière que le tapissier ne nous traite pas en grands seigneurs, ce qui serait loin de compte[1]. » Aimé Martin avait eu la main heureuse. Lamartine se trouva délicieusement logé dans ce vaste et paisible appartement de la rue de l’Université, au numéro 82, qui donnait sur une cour de vieil hôtel et sur de verts jardins : « Il s’est passé tant de choses dans ces pièces, écrit un des familiers du logis[2], qu’elles sont devenues historiques. L’Europe politique, littéraire, artistique, plébéienne, a passé dans cette large salle à manger, et dans ce grand salon encadré par un divan, et dans cet atelier où séchaient toujours quelques toiles de Mme de Lamartine. Les privilégiés ont ouvert cette porte à droite et trouvé un beau cabinet où Lamartine ne travailla jamais, encombré de livres offerts, recueils de poésie innocens, journaux et imprimés

  1. Lettre de Mme de Lamartine à Aimé Martin. — Mâcon, le 2 décembre 1833, (Communiquée par Mme la baronne de Noirmont.)
  2. H. de Lacretelle, Lamartine et ses amis, p. 39.