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terrien lui laissent quelque loisir, Lamartine sait en jouir avec délices. « Il n’y a ni Chambre, ni affaires, ni vent, ni voiles, tout dort heureux et riche et content, au grand dépit de vos grands amis. Paris est un bal continuel. Jocelyn va son train : il a encore cinq à six articles par jour de Paris ou des provinces, beaucoup de critiques prouvant qu’il ne vaut pas le diable et beaucoup de lecteurs, car jamais depuis l’invention des éditeurs en France, un éditeur ne fit la fortune de Gosselin depuis deux mois. Il passe 4 000 souscripteurs à sa grande édition de 75 francs. Il a la croix, on le fera député, baron d’Empire, et ses terres font honte à Saint-Point... » Pour lui, Lamartine se prépare à ébaucher son deuxième épisode : « il fera verser dans dix ans plus de larmes que mon pauvre ami Jocelyn, lequel cependant attendrit bien des cœurs de femmes. J’en juge par la recrudescence des billets amoureux... » Entre temps, il ne dédaigne pas de se délasser en prenant un bain de gaieté et de bêtise : « Je suis allé au théâtre du Palais-Royal voir la Marquise de Pretintaille. Pendez-vous ! C’est admirable. C’est le Mariage de Figaro réduit aux proportions du Palais-Royal et joué comme on n’a jamais joué en France sur de bons théâtres. La mère n’y conduira pas sa fille. C’est un mauvais lieu sur la scène. Mais Montherot y conduirait Lamartine ou Virieu[1]. » Lamartine n’était pas toujours guindé en personnage public : c’était un honnête homme qui aimait à rire avec ses amis. — Au milieu d’une lettre politique, il s’interrompt pour annoncer la mort et prédire la résurrection de son chien. « J’ai perdu mon vieux et charmant ami Fido. Il est mort sans souffrances et je ne doute pas que je ne le retrouve un jour parmi ces intelligences amies qui eurent pour nous des formes corporelles ici-bas et qui ne seront avec nous là-haut qu’amour et intelligence. » — Une autre fois, le voici à Saint-Point pris par une neige universelle ; pour occuper les loisirs de son hivernage, il griffonne le plan et les scènes d’une tragédie. Qu’en adviendra-t-il ? Attendez à l’année suivante. Lamartine est dans les Pyrénées, au mois de juillet, en train de pester contre le climat. « C’est la Suisse en bain-marie, la Suisse humide et nébuleuse. Nous avons trouvé le moyen d’avoir deux mois de novembre par an[2]. » Il s’enfuit, persuadé que « les vallées des Pyrénées sont des caves gigantesques, où l’air et le soleil ne

  1. A M. de Montherot, — de Paris, 28 avril 1836
  2. Pau 12 (juillet) 1839.