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jouent pas, » et va chercher le vrai midi à Hyères. En route, il s’aperçoit qu’il a perdu, oubliés dans quelque commode d’auberge, les deux actes de sa tragédie, déjà versifiés et dont il n’a pas pris de copie[1]...

Bornons-nous donc à extraire de ces lettres les passages qui nous renseignent sur la direction de l’esprit de Lamartine. Ils attestent, en dépit d’apparentes contradictions, une continuité dans le même sens[2]. Politique sinueuse, si l’on veut, mais qui, à travers ses détours, suit sa pente et obéit à sa loi. — Nous sommes à l’époque du premier ministère Mole : le gouvernement se prononce contre une intervention en Espagne :


Paris, 24 mars 1837[3].

Tout va horriblement mal. Vous savez que dès longtemps je vous ai dit que Juillet broncherait sur les Pyrénées. Cela se vérifie. Tout est ici à la débandade. On ne se fait pas idée de la Chambre et des viles intrigues de tout le monde...

J’ai suspendu ma lettre pour monter à la tribune, et, dans une réplique improvisée à M. Arago, j’ai enlevé la Chambre comme cela ne m’était pas encore arrivé si bien... La Chambre me prend en gré infini, et trouve mes progrès immenses. Que serait-ce si j’avais un homme derrière moi ? Mais je donne çà et là un coup pour ou contre une loi à une trentaine de cœurs sympathiques et n’ai point et n’aurai de longtemps une armée. Au reste, je calcule qu’il me faudra encore cinq ans pour mes études oratoires et politiques complètes. Je travaille immensément.


Cette réplique improvisée, c’est l’admirable discours en faveur des « études classiques. » A Arago qui, dans cette séance du 24 mars 1837, avait préconisé la prédominance de l’enseignement scientifique, Lamartine répondait : « Si toutes les vérités mathématiques se perdaient, le monde industriel, le monde matériel subiraient sans doute un grand dommage, un immense détriment ; mais si l’homme perdait une seule de ces vérités morales dont les études littéraires sont le véhicule, ce serait l’humanité tout entière qui périrait. » On peut relire le discours aujourd’hui ; il n’a rien perdu de sa justesse... ni de son actualité. — Le 15 avril, Mole formait un ministère qui d’abord ne sembla pas viable :

  1. Lettre de Mme de Lamartine à F. Guillemardet. (Communiquée par Mlle Laure Le Tellier.)
  2. Sur la politique de Lamartine, voir : Pierre Quentin-Bauchart, Lamartine homme politique. La politique intérieure, 1 vol. in-8o (Plon).
  3. A M. de Montherot.