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le rôle de sauveur qu’il se croit appelé à jouer : « Le rôle de cariatide n’est pas mon rôle... Le temps se charge... On se jettera comme dernière ressource dans nos bras... » Pour expliquer son passage à l’opposition bien des causes ont été indiquées : son échec à la présidence de la Chambre, lorsque Sauzet y fut nommé en 1839, le refus du portefeuille de l’Intérieur dans le ministère Guizot en 1840. Ce ne furent que des occasions. Elles ont pu précipiter, elles n’ont pas déterminé sa conversion. Celle-ci s’imposait à lui. Elle résultait d’un désaccord avec « la pensée du règne » et le « système tout entier. » Mais surtout elle découlait logiquement du principe personnel de sa politique. Cette politique devait trouver son expression exacte dans ce duel qui allait mettre aux prises un régime et un homme.


LA RUPTURE

Le discours du 27 janvier 1843, qui consomma la rupture, ne fit donc que traduire une résolution depuis longtemps réfléchie et mûrie. Au bout de la voie où Lamartine s’engageait maintenant, qu’y avait-il ? Une révolution à laquelle l’esprit public n’était pas préparé. Cette perspective n’était pas pour l’effrayer. Il s’en expliquait dans une lettre adressée à Lacretelle :


6 mars 1843.

Cher et vénéré confrère,

Votre lettre est haute et touchante.

Elle éclaire et elle attendrit.

Je ne suis pas de ceux qui dédaignent ces avertissemens de l’expérience et ces pressentimens de l’amitié. Je les médite et je les bénis.

Je sais qu’il n’y a pas encore de foi commune comme en 1789, mais notre œuvre est de la créer et de lui faire son symbole, caché encore au fond des consciences, puis de faire agir cette foi qui a passé cinquante ans à se donner des démentis. C’est trop long. Il faut balayer cette poussière qui ternit la glace de la raison humaine.

Ne croyez pas que j’aye changé. Je n’ai jamais eu d’autre but en sacrifiant plaisir, loisir, temps, vie peut-être à la politique. Je ne me dissimule pas non plus les difficultés, les mécomptes, les haines et les persécutions. C’est le sel de toute vérité. Les vérités ne valent que ce qu’elles coûtent à ceux qui les répandent. Aidez-moi donc de vos bons conseils, de vos lumières, de votre sagesse. Je suis un bien indigne et bien pauvre apôtre de cette philosophie dont vous êtes l’aurore et dont nos arrière-petits-neveux verront le midi malgré les nuages...