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et les faïences de nos manufactures expulsent les vieux ustensiles et les vieux sièges orientaux. Aux plafonds s’espacent des lampes à pétrole, — ces hideuses lampes allemandes qu’on retrouve dans tous les pays du Levant, — énormes et pansues, avec des abat-jour de zinc munis de pendeloques en bouchons de carafes. On y fume les cigarettes de la régie ottomane, ou égyptienne, on y lit même de vagues journaux, et, presque partout, des graphophones, colportés par les commis voyageurs teutons, nasillent des chansons arabes.

Pas plus que les cafés, les mosquées n’ont échappé à la contagion. A part les très belles et les très anciennes, où les taches de mauvais goût moderne s’effacent dans la splendeur de l’ensemble, la plupart sont tristement défigurées par des importations occidentales. Des ferblanteries effroyables ont remplacé les suspensions de cuivre, aux godets d’albâtre ou de verre colorié, et les merveilleux globes de lampes décorés par les artisans d’autrefois sont passés dans les vitrines des musées. Les moquettes de la Place Clichy se substituent aux tapis de prières. Des barbouilleurs italiens ont couvert les murs d’arabesques de cabaret. A Stamboul, l’intérieur de la Mehmet Fathi, peinturlurée en noir, est d’un effet funèbre et désastreux. Les petites mosquées des quartiers excentriques sont encore plus affligeantes : ce ne sont que guirlandes, carquois et bouquets de roses, et les revêtemens de faïence n’ont rien à envier à ceux de nos cabinets de toilette[1]. Enfin, dans les turbés, comme dans les mosquées elles-mêmes, on peut admirer de superbes rideaux de velours rouge à crépines d’or, avec des baldaquins en bois doré. Et l’on songe aux magnificences de nos salons de préfectures et de nos salles d’attente de première classe.

Oui ! tout cela est navrant pour les âmes éprises d’exotisme ! Les costumes aussi s’en vont. A part le tarbouch, la mise d’un fonctionnaire turc ou égyptien est identique à celle d’un fonctionnaire européen. Sans doute, les gens du peuple, les fellahs et les nomades restent forcément fidèles à la mode ancienne, d’ailleurs si simple qu’elle n’est presque pas susceptible de changement.

  1. Autrefois, la coupole de la mosquée d’Omar, à Jérusalem, était lambrissée extérieurement de faïences persanes. Ces précieuses plaques ont presque toutes disparu, vendues, me dit-on, à des touristes par des Imans indélicats. On bouche les trous, — et cela j’ai pu le constater de mes yeux, — avec de grosses céramiques italiennes.