Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs ânes et que les vieilles Anglaises rapportent triomphalement à leurs poignets, en poussant des : very beautiful, indeed ?... » Et ces piquages à la machine que le Juif narquois ou l’astucieux Arménien vous insinue comme authentiques broderies de Boukhara, non sans vous faire remarquer des taches significatives : « Tu vois, c’est l’eau de la pluie ! L’étoffe il a traversé le désert sur le dos des chameaux !... »

Au grand bazar de Constantinople, des centaines de machines à coudre vous remplissent les oreilles de leur tic tac. Quel coup pour la couleur locale et quel avertissement pour les amateurs de vieilles broderies à la main ! A Damas, l’allée centrale des souks est couverte par une arcature de fonte, comme nos gares et nos marchés publics. Le reste est à l’avenant. Arrêtez-vous devant cette boutique, au seuil enguirlandé de ceintures voyantes et de mouchoirs syriens liés en grosses touffes multicolores. Les mouchoirs, — les beaux keffidjés aux longs cordons flottans, — ont été fabriqués à Vienne, comme d’ailleurs ces cachemires, si parfaitement imités, où les personnes aisées se taillent, pour l’hiver, de moelleux gilets. Les velours sont italiens, ou allemands : ils viennent de Milan, ou de Crefeld, ne coûtent pas cher et ne valent pas grand’chose. Les soieries de Lyon, si appréciées autrefois, sont considérées comme trop coûteuses. Il y en a bien quelques ballots, mais enfermés dans des fonds d’armoires : le marchand qui a bouleversé des piles entières pour les retrouver, vous avoue que cela ne se vend plus. Même les souks de la librairie, — dernier refuge du moyen âge musulman, — prennent un aspect de plus en plus moderne et européen. Nos fournitures scolaires s’y étalent, nos encres et nos crayons, nos papiers, nos gommes et jusqu’aux cartables de nos collégiens. Les épiceries sont empoisonnées de pétroles, pétroles de Bakou, pétroles américains, et les conserves de Chicago s’y alignent à côté des savons marseillais.

Au sortir des bazars, vous rejetez-vous sur les cafés ? C’est une autre déception, surtout pour ceux qui connaissent nos cafés maures d’Algérie, où le mobilier ancien s’est à peu près conservé. Au Caire, comme à Damas, à Beyrouth, à Stamboul, les divans disposés à l’intérieur, le long des plinthes, les bancs de bois surélevés où l’on s’accroupit pour fumer et pour boire, toutes ces vieilleries pittoresques tendent à disparaître. Les tables et les chaises métalliques de nos estaminets, les verreries