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obéir. Auprès d’eux, nos bergers du Sud algérien passeraient pour des grands seigneurs. Vraiment, il n’y a pas de quoi s’exciter l’imagination sur ces exemplaires d’une humanité certainement inférieure à la nôtre. Le désordre, la négligence, l’incurie domestique des plus fortunés, l’ordure avec laquelle ils voisinent sans répugnance, où ceux de la classe inférieure semblent même se complaire, l’aspect sordide des logis et des rues, — quand on a touché toutes ces tares, contemplé toutes ces laideurs, respiré tous ces miasmes, c’est le désenchantement suprême !

Si, maintenant, dégoûté de la pouillerie orientale, étourdi par le vacarme des tramways, des attelages et des automobiles, repoussé de partout par les vulgarités d’une civilisation qui se décompose, on cherche un dédommagement dans le spectacle du passé, — voici toute une nouvelle série de déboires ou de tribulations. Sauf peut-être en Grèce, les ruines, dans tout l’Orient, sont, autant dire, inabordables. En Egypte, où elles abondent, c’est à croire qu’une administration vigilante s’est appliquée à en défendre l’accès. Et d’abord, on n’y pénètre que muni d’un ticket qui s’achète à la porte, à moins qu’on ne se soit pourvu, une fois pour toutes, — et moyennant une livre égyptienne, — d’une carte de légitimation valable pour tous les lieux à visiter. Sans doute, c’est là un usage courant, même en Europe, et qui se justifie suffisamment par la nécessité d’arrondir le budget des fouilles. Mais cette formalité, insignifiante dans une ville, devient odieuse en plein désert, ou dans des pays perdus. Là encore, il faut donc que l’on se heurte à l’éternel fonctionnaire embusqué derrière son guichet, que l’on exhibe un permis, ou que l’on passe à la caisse. Les personnes amoureuses de solitude et de recueillement en sont désagréablement froissées. Comment se recueillir d’ailleurs et s’absorber dans la contemplation des ruines, lorsqu’on n’y peut faire un pas, sans être escorté d’une demi-douzaine d’estafiers ? C’est dans cet équipage que l’on parcourt les hypogées de la Vallée des Rois, et si j’en parle nommément, c’est que, nulle part ailleurs, l’escorte qui vous accompagne n’est plus pompeuse. Les gâfirs qui vous précèdent portent chacun sur leur épaule un long bâton, comme un suisse de cathédrale porte sa hallebarde. Or les gâfirs, par métier, sont blasés sur les émotions que vous venez chercher en ces endroits. Ils sont impatiens d’en finir avec une cérémonie qui se renouvelle trop souvent à leur gré. Alors, ils vous pressent, vous