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entraînent, vous obligent à brûler les stations : c’est une revue au pas de course.

Je ne sais comment font les autres, mais j’avoue que cet appareil administratif suffit pour tuer en moi toute émotion. L’idée seule que ces nécropoles sont en régie, que tout y est classé, numéroté, que le programme de ma visite est arrêté dans le moindre détail, — une telle idée, en des lieux pareils, m’en ôte toute la poésie. Si l’on admet le système, il faut proclamer cependant qu’en Egypte on l’a poussé jusqu’à sa perfection. Dans les hypogées, comme dans les grands hôtels cosmopolites, on jouit des derniers raffinemens du confort moderne. A. l’instar des Métropolitains et des Excelsiors du Caire ou d’Alexandrie, toutes sont éclairées à la lumière électrique. A peine êtes-vous entré qu’un gardien tourne le bouton d’un commutateur : embrasement général ! Les fresques mythiques des corridors, les puits où dorment les Pharaons, les sarcophages monumentaux des Apis vous apparaissent dans une apothéose d’Eden-concert. Encore une fois, chacun son goût ! Mais je préfère de beaucoup, dans ces caveaux funèbres et qui devraient rester mystérieux, la lueur d’une chandelle !

Pourtant, ces ennuis sont légers, en comparaison du reste. Le pire, c’est l’exploitation commerciale des ruines, c’est la horde de drogmans, de pisteurs, d’hôteliers, d’industriels de toutes sortes qui se dressent, comme un mur opaque, entre vous et ce que vous voulez voir. Les « progrès de la civilisation « en pays non civilisés les ont rendus invisitables. Je n’exagère pas. Prenons, par exemple, les pyramides de Gizeh, qui sont aux portes du Caire. Je défie bien qui que ce soit de les visiter à loisir.

Un tramway électrique vous y conduit en trois quarts d’heure. On suit une route plantée d’acacias et bordée de guinguettes, — telles que le Bar Cléopâtre, le Rendez-vous des chasseurs, ou le Retour de la chasse, — et l’on débarque entre une brasserie allemande ou suisse, et un hôtel américain du tout dernier cri, avec musique de tziganes et pistes pour tennis. Le décor est à souhait, n’est-ce pas, pour encadrer les quarante siècles de Khéops et de Khephrem ?... On n’a pas le temps de formuler cette réflexion chagrine, qu’une nuée d’âniers et de chameliers s’est déjà abattue sur vous. C’est en vain qu’on proteste, qu’on affirme son intention formelle d’aller à pied et d’être seul pour regarder en paix. Bon gré mal gré, il faut se hisser sur un