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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/377

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ligne : ç’a été ma meilleure école et la période la plus féconde de ma vie.

Seul, un séjour prolongé et, en quelque sorte, naturel, en pays étranger, peut développer le sens exotique. Je dirais plus volontiers : le sens colonial, parce que ce mot implique la notion non seulement spéculative, mais aussi pratique et, par conséquent, complète des âmes et des contrées. Le vrai voyageur doit être, au moins d’intention, le colon qui s’établit sur une terre, avec la volonté de la faire sienne. Sans doute, le colon ne devient jamais l’indigène, mais il n’est plus complètement l’homme de sa patrie d’origine. C’est un être à part, merveilleusement propre à s’adapter n’importe où, pourvu qu’une première fois il se soit détaché de son milieu natal. Cette première adaptation lui facilite et lui abrège singulièrement les autres. Le voyageur qui a acquis le sens colonial peut parcourir, après cela, le monde entier : en quelque lieu qu’il aille, il ne sera pas longtemps un étranger.

Faute de cette initiation, les personnes les plus cultivées, les mieux intentionnées, commettent des erreurs d’appréciation perpétuelles, ou se laissent aller à des engouemens, ou à des excès d’indignation, qui prêtent à rire aux gens avertis. Le contraire serait surprenant. Qu’est-ce qu’un Français de France, même en le supposant bourré de lectures préparatoires, peut bien comprendre à des âmes levantines ou africaines ? L’atmosphère matérielle et morale, où il se trouve jeté brusquement, est tellement dissemblable de la sienne ! Vous imaginez-vous, en plein tohu-bohu oriental, ce député dont l’expérience expire, je ne dis pas même au seuil de sa circonscription, mais au seuil du Palais-Bourbon ; cet homme de lettres qui ne sait rien, en dehors du petit cercle des journaux, des revues et des salons mondains, et que l’habitude de, la phrase incline à considérer comme vrai tout ce qui est matière à littérature ; cet universitaire qui prend ses diplômes pour des brevets de capacité universelle et que ses fréquentations purement intellectuelles rendent inapte à pénétrer des natures rudes, ou violentes, — ou seulement façonnées par des mœurs qu’il ignore ?...

Lorsque j’étais en Orient, il n’était bruit, dans les milieux scolaires, que d’une inspection toute récente qui venait de révolutionner à la fois les maîtres et les élèves. Assurément l’inspecteur mit toute sa bonne volonté à remplir convenablement la