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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/378

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tâche qui lui avait été assignée. Mais on ne s’improvise pas, en six semaines, pédagogue oriental. Malgré tous ses efforts pour tenir une juste balance entre les erremens de l’esprit local et les principes intangibles de l’enseignement laïque, ce fonctionnaire se comporta dans les écoles de Damas et de Beyrouth à peu près comme il eût fait dans celles de Pantin ou de Noisy-le-Sec.

Ayant remarqué, en Syrie, l’usage presque général du pétrole (ce qui est, en effet, d’un observateur judicieux), il se crut autorisé de ce chef à interroger des bambins sur une substance qui se trouve dans toutes les épiceries de leurs quartiers : « Mon enfant, parlez-moi du pétrole ! » Naturellement, les bambins restèrent bouche bée. Ce n’était pas dans leurs cahiers. Sur quoi, l’inspecteur, triomphant, s’empressa, de conclure que leurs professeurs congréganistes négligent les leçons de choses pour un psittacisme abrutissant et rétrograde.

Notez d’abord que la même question posée à de petits Français de nos écoles laïques n’eût sans doute pas obtenu de réponse. Mais ce qui dénote une méconnaissance complète du milieu, c’est cette condamnation sommaire du psittacisme. Comme si, depuis des siècles, l’enseignement oriental était autre chose que de la mnémotechnie ! Du plus humble écolier jusqu’à l’étudiant des grandes universités musulmanes, tous ne font que répéter la lettre du livre. On a droit au titre de kodja, quand on sait par cœur tant de sourates du Coran. Il en est de même chez les chrétiens orientaux. Va-t-on détruire, du jour au lendemain, des habitudes d’esprit si profondément enracinées ? Et, quand on le pourrait, ne serait-il pas d’une détestable pédagogie de combattre une tendance, — mauvaise en soi, je le veux bien, — mais qui peut être merveilleusement utilisée ?

Ne l’oublions pas : ces élèves des écoles des Frères sont des étrangers, qui ne parlent pas le français en dehors des classes. Serait-il pratique de le leur apprendre rationnellement ? On peut juger, en France, des résultats de la méthode rationnelle. Ils sont décourageans. Plût à Dieu qu’on nous eût enseigné l’allemand ou l’anglais comme à des perroquets ! Au moins nous parlerions ces langues, tandis que nous les déchiffrons à peine ! L’Oriental, lui, avec sa mémoire exercée et prodigieusement réceptive, son oreille très fine, son instinct d’imitation, réalise en très peu de temps un tour de force que nous ne pouvons pas accomplir avec des années d’études. Il parle le français comme il