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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/389

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elle m’invite à prendre un siège qui était près de sa toilette. Je prends le siège et le reporte à une plus grande distance d’elle. Cette marque de respect de la part d’un jeune homme lui plut sans doute, car elle me remercia de l’acceptation que j’avais faite de sa cause. » Gerbier, mandé lui aussi, arrive en élégant négligé du matin, avec la petite perruque ronde, un rouleau de papier à la main. Il n’a point l’hommage tremblant du jeune Berryer, mais tout de même il sent sa distance et le « respect » qu’il offre n’est pas du tout celui de nos contemporains, qui vaut tout juste leur « considération distinguée. » Une autre duchesse pourra se jeter un jour à ses genoux pour le décider à plaider une cause qui paraissait perdue d’avance ; il sait que sa situation sociale n’en sera pas augmentée.

« A peine, disait Gui Patin au XVIIe siècle, si un vieil avocat de grande réputation peut être comparé et assimilé aux conseillers de la grand’chambre, maîtres des requêtes et autres magistrats. » Le fossé ne s’était guère comblé jusqu’à Louis XVI. En face des riches propriétaires d’offices, du greffier en chef et même du premier huissier à qui sa charge donne la noblesse héréditaire, les avocats sont peu de chose. Vis-à-vis de « Nos Seigneurs » du Parlement, du grand banc olympien des présidens au mortier de velours, les « maîtres » en bonnet noir ne sont presque rien. Si chacun connaît aujourd’hui Tronchet, Vergniaud, Portails, Treilhard, Target, Bigot de Préameneu, Merlin de Douai, Chauveau-Lagarde et quelques autres membres du barreau, durant les années antérieures à 1789, c’est uniquement grâce au rôle politique que jouèrent ces personnages durant la Révolution ou l’Empire ; de Gerbier, pourtant le plus célèbre de tous, mort en 1788, le nom est parfaitement oublié, sauf par les professionnels.

Une évolution radicale s’est opérée, depuis que le public a appris à juger les jugemens, jusqu’à nos jours où, contre l’opinion, les arrêts ne peuvent plus grand’chose. Le barreau n’a pas gagné tout ce que la magistrature a perdu. Mais, socialement, nos avocats actuels sont égaux et nos grands avocats sont supérieurs à leurs juges, parce qu’ils possèdent cette noblesse démocratique qu’est la « notoriété. »

Et comme la démocratie, en décernant de façon éphémère à ses élus les hautes dignités de l’Etat, amoindrit plutôt les fonctions qu’elle ne grandit les fonctionnaires, il arrive qu’un avocat