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tel que Waldeck-Rousseau pouvait sans vanité écrire dans une lettre intime : « Tout le monde sait que je suis de ceux qui perdent à être ministre. » Un autre avocat, entré dès la trentième année dans un cabinet dont il était l’honneur, avait une mère avisée qui disait en hochant la tête : « La position de ministre n’est pas suffisamment sérieuse pour un homme qui a son avenir à faire. » Le propos eût beaucoup surpris au XVIIIe siècle.


III

Le Paris de 1789, peuplé d’environ 500 000 âmes, comptait 600 avocats, répartis entre ces douze bancs ou piliers de la grand’salle dont chacun portait un nom : la Prudence, l’Epée Herminée, la Bonne foi, Sainte Véronique, les Consultations, etc. De ces 600 la moitié ne se faisait admettre que pour l’honneur.

De nos jours, sur les 1 200 avocats parisiens inscrits au tableau, il y en a 600 qui ne mettent jamais les pieds au Palais ; le chiffre maximum atteint dans les scrutins pour les élections au conseil de l’Ordre ne dépasse guère 650 et, parmi ces 650, beaucoup ne paraissent jamais en dehors des jours de vote. En fixant à 300 le nombre des avocats qui vivent de leur profession, qui du moins essaient d’en tirer un profit appréciable, — puisque les 20 000 affaires d’assistance judiciaire ne rapportent rien aux stagiaires qui en sont chargés, — je ne crois pas être très éloigné de la vérité.

Le « tableau » actuel de l’Ordre a donc ceci de commun avec l’ancien « registre matricule, » qu’aujourd’hui comme naguère, beaucoup d’avocats inscrits ne plaident pas. C’est, avec la robe et le rabat, la seule ressemblance entre le barreau moderne et celui du XVIIIe siècle. Ressource du jeune homme « qui a plus de talent que de légitime, » la profession d’avocat, pour lui donner de quoi vivre, l’obligeait à travailler « en chambre » à la disposition des procureurs, qui lui faisaient faire des extraits raisonnes de leurs dossiers. D’ailleurs, les anciens avocats écrivaient nécessairement autant qu’ils parlaient, puisque la moitié des procès étaient des « procès par écrit, » c’est-à-dire des affaires qui n’étaient pas portées à l’audience et se « vidaient » à huis clos, sur le rapport d’un conseiller, en des séances qui s’ouvraient à l’aube, en été dès quatre heures du matin.

Il n’était bruit alors que des abus sans nombre, engendrés