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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/425

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tenez, nous pensons bien que ça ne va pas durer, nous vous demandons d’avance de nous reprendre à l’ancien prix. » La logique et la discipline ne s’accordent pas toujours. Des propriétaires ont montré moins de patience que celui-ci, et l’on a cité plus d’une réponse de ce genre : « Allez demander du travail à Jaurès ! » Il ne suffit point, par le temps qui court, d’avoir raison devant la raison, le droit et la stricte équité, il faut encore avoir raison devant la pitié, l’harmonie générale, la souffrance, et devant l’avenir. Un propriétaire doit avoir dix fois raison pour avoir raison.

Le salaire annuel oscille entre 500 et 800 francs pour l’homme, 250 à 275 pour la femme. Un célibataire n’est pas malheureux, un ménage sans enfans peut réaliser quelques petites économies ; s’il y a des enfans en bas âge, le problème se complique, car la femme n’a presque plus le temps de travailler, et la vie est chère dans le Midi, avec un loyer de 80 à 100 francs, et 200 francs de pain par an. Les réponses des syndicats aux questionnaires traduisent tous la même plainte, l’impossibilité pour un ménage ayant des petits enfans de nouer les deux bouts : peut-être aussi les plaignans ne tiennent-ils pas assez compte du lourd impôt, impôt volontaire et de plus en plus pesant, que prélève sur ce modeste budget l’Assommoir rural, aussi funeste que l’Assommoir des villes.

Quant aux ouvriers propriétaires, leur situation n’est pas brillante non plus, car la plupart sont endettés : les courtiers des commerçans connaissent à merveille leur situation, et les rançonnent sans vergogne au moment de la vente ; c’est presque la carte forcée. La nouvelle crise, la mévente les a surpris comme toujours, et ils ne peuvent « raisonner leurs vins ; » aussi se considèrent-ils plutôt comme des salariés, et résistent-ils mal aux mirages du socialisme.

J’ai déjà parlé des grèves viticoles[1], des syndicats viticoles créés par la propagande des syndicats des villes. Leurs causes principales : la situation assez misérable des travailleurs et petits propriétaires, la mévente, les goûts croissans de luxe, la mésintelligence entre patrons et ouvriers se traduisant par des élections socialistes à la Chambre et dans les communes, la viticulture languedocienne devenue une véritable industrie. Naturellement

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1906.