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que le vin assurément. Mais là où il paraît inexcusable, c’est lorsqu’il se fait le complice, avoué ou tacite, de la fraude. Or les fraudes sont innombrables, tellement qu’elles rappellent cette boutade de Henri Heine : « il y a plus de sots que d’hommes. » Il y a plus de fraudes que de fraudeurs, par cette bonne raison que certains fraudeurs les commettent à la grosse, à la douzaine. Les discours de députés du Midi, prononcés à la Chambre en 1907, renferment des révélations tout à fait édifiantes, et contre lesquelles personne n’a osé s’inscrire en faux : il convient d’en résumer quelques passages.

Dans la séance du 18 janvier 1907, M. Emmanuel Brousse dénonça des faits extraordinaires : un professionnel de la fraude, D…, négociant à B…, vendant chaque jour 500 hectolitres de vin fabriqué chez de pauvres diables, auxquels il achetait leurs récoltes et fournissait pour d’autres œuvres les matières premières, sucre, acide tartrique, acide sulfurique, tannin, phosphate de soude, — emboursant 66 procès-verbaux dans l’espace d’un mois, 33 condamnations qui s’élevèrent au chiffre de 197 000 francs d’amendes, narguant les juges et la prison, si bien soutenu par de mystérieux protecteurs qu’il était averti, et mettait la frontière entre les agens et lui quand on voulut enfin l’arrêter, — que M. de Saint-Aubin, directeur des affaires criminelles au ministère de la Justice, fut accusé d’avoir truqué son dossier pour faire signer sa grâce par M. Sarrien, en faisant disparaître des pièces capitales, telles que la protestation de M. Jean Dupuy, le très distingué président du Syndicat national de défense de la Viticulture française. Les choses enfin étaient poussées au point que M. de Saint-Aubin fut disgracié, mais aussitôt nommé à un poste important dans la magistrature parisienne. Autant que personne, j’apprécie la haute valeur morale et l’intégrité d’hommes tels que MM. Sarrien et Chaumié ; mais il en va des ministres comme des princes : les meilleurs ne savent pas tout ce qui se passe, on leur dissimule beaucoup de choses, et il faut reconnaître que cet incident causa une impression pénible dans le monde viticole.

D… et deux de ses émules ont déposé leur bilan à la fin de 1906 ; espérons que la fermeture de ces deux maisons sera définitive et qu’elles paieront à la régie les amendes encourues. Ils ont beaucoup de complices, de cliens, d’ouvriers, ces messieurs, ce qui explique peut-être la mansuétude du peuple viticole dans