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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/447

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le produit de la fermentation des raisins frais : voilà l’acquit fictif, une déclaration ayant pour but de simuler un enlèvement non réalisé. La publicité serait pour les fraudeurs un aiguillon d’honnêteté. M. Audebert constate que, d’après les pièces de régie de 1901 à 1906, les sorties de vins, pour l’Aude, l’Hérault, les Pyrénées-Orientales, le Gard, ont dépassé de 28 millions d’hectolitres les chiffres des évaluations de récoltes. D’où viennent ces 28 millions ? Très probablement du sucrage et du mouillage.

Les opinions sont très divisées au sujet de la déclaration de récolte ; une majorité l’a consacrée à la Chambre et au Sénat (loi du 29 juillet 1907)[1], mais les hommes compétens se montrent résolument hostiles. Comment la régie pourrait-elle pratiquer cette inquisition chez nos 1 700 000 récoltans ? Il faudrait une armée d’employés. Elle fera forcément de l’arbitraire, vexera les uns, laissera tranquilles les autres, au gré des influences locales, soumettra les vignerons à une comptabilité compliquée, ruinera la consommation familiale et non taxée, favorisera la production clandestine au vignoble, fera authentiquer par la régie des vins artificiels, nous acheminera vers le monopole des vins, donnera au commerce un nouveau moyen d’établir ses mouvemens de hausse et de baisse, concentrera la surveillance de l’administration sur les propriétaires, et la détournera des gros fraudeurs. On a rappelé que ce même régime de l’inventaire a été abrogé en 1809 après un rapport décisif de M. de Montesquieu, que Bocher et Thiers le combattirent avec force en 1850, que ces formalités jetèrent le plus grand trouble dans les populations, que l’administration s’était tirée de là en ne faisant pas du tout la visite prescrite, de l’aveu même du directeur général des contributions indirectes. La déclaration de récolte sera un nouvel instrument de règne pour les préfets, et c’est ainsi, par un mouvement tournant, que les sophisticans, trafiquans et débitans essaient de se débarrasser de la surveillance, et de la rejeter sur les producteurs. Poubelle cite, à propos des illusions de nombreux viticulteurs sur la déclaration de récolte, cette belle parole de Condorcet : « Mandataire du peuple, je ferai ce que je croirai

  1. Cette loi prescrit de déclarer : 1° la superficie des vignes en production que le propriétaire possède ou exploite ; 2° la quantité totale du vin produit et celle des stocks antérieurs ; 3° le volume ou le poids des vendanges fraîches expédiées ou reçues ; 4° la quantité de moûts expédiée ou reçue.