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J’avais à ces buissons, familiers et discrets,
Etourdîment livré tant de désirs secrets,
Et, tout en effeuillant les églantines roses,
Imprudent et léger, confié tant de choses,
Prêté, dans mes élans naïfs vers l’avenir
Tant de sermens hardis que je n’ai pu tenir !



Vraiment, n’allaient-ils pas, ces chênes aux fronts rudes.
Si résolus dans leurs vaillantes attitudes.
Ces ormeaux grimaçans, cet inquiet bouleau.
Ce vieux saule éploré qui tremble au bord de l’eau,
Comme à l’enfant ingrat qui rentre, tête basse.
Me faire grise mine et, de mauvaise grâce,
Sous leurs rameaux caducs m’accueillant sans amour,
Se plaindre, et, me grondant d’un si tardif retour.
Me dire : « revenant pâle, aux lèvres fanées.
D’où viens-tu ? Sur ta route, en ces longues années,
Qu’as-tu fait de ton âme enfantine au fond clair
Où, comme le soleil dans la source en plein air,
Plongeaient et scintillaient en teintes variées
Les salubres conseils de nos fraîches feuillées ?
Comme tu marchais droit alors, visant les cieux
Trop petits pour loger ton rêve audacieux !
De quel œil confiant tu mesurais la vie,
Sans vouloir t’embourber dans la route suivie,
Prêt à lutter, prêt à souffrir, prêt à vouloir.
Heureux de tout aimer, espérant tout savoir,
Et ne pouvant douter de la proche victoire
Où d’un baiser bruyant t’enivrerait la gloire !
Eh bien ! te voilà vieux, tout blanc, perdant tes forces,
Plus ridé, plus flétri que nos dures écorces !
Peux-tu nous regarder maintenant sans rougir ?
Qu’as-tu fait ? Qu’as-tu vu ? Que sais-tu ? Pour agir.
Pour penser et créer, en quelle noble tâche
T’es-tu donc épuisé sans faiblesse ou relâche ?
En ces temps de bassesse où tous ceux qu’autrefois
Nous chérissions alors qu’ils écoutaient nos voix,
Peintres francs et joyeux, fiers et tendres poètes,
Aujourd’hui bateleurs escortés de trompettes ;