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arrangemens ou rétrocessions le nom de partage, et le gouvernement grec se tromperait complètement sur les vues de l’Europe… Lord Beaconsfield ajouta que « personne ne saurait douter de l’avenir de la Grèce, que les États, comme les individus qui ont un avenir, sont en mesure de pouvoir attendre. »


Consolation un peu austère… Le comte Schouwaloff répondit à lord Beaconsfield en faisant observer que les Slaves des Balkans n’étaient pas seuls à vouloir « troubler la paix de l’Europe ; » et on aboutit à un vote assez platonique, conforme à la proposition de la France et accordant à la Grèce une simple rectification de frontière en Épire et en Thessalie. La Grèce voyait donc l’occasion lui échapper. L’Angleterre et l’Autriche-Hongrie veillaient sur Salonique[1].

Dégageons la réalité des phrases protocolaires. Malgré les protestations de lord Beaconsfield, la politique vers laquelle s’acheminaient les puissances, soit par la force des choses, soit par la conscience intime de leurs rivalités inconciliables, c’est un partage de l’Empire ottoman, sinon un partage territorial, du moins un partage en « sphères d’influences, » comme on dira plus tard, par la distribution et le « coupaillement » de la péninsule des Balkans entre les nationalités locales apparentées aux grandes familles européennes.

On revient donc, d’abord, à la conception de la conférence de Constantinople, — reprise déjà et élargie dans le traité de San-Stefano, — et on constitue une « Bulgarie. » Bulgarie réduite, il est vrai, Bulgarie diminuée, ligotée et suspecte : mais, enfin, une Bulgarie, c’est-à-dire un État orthodoxe et slave, au plein cœur de la péninsule, aux approches de Constantinople.

Deux millions de Slaves libérés de la domination turque, réunis en une « principauté autonome et tributaire sous la suzeraineté du Sultan, avec un gouvernement chrétien et une milice nationale ; » c’est de quoi amorcer l’avenir d’un nouveau peuple oriental. Tel est le prix dont est payée la victoire slave. Il n’y a plus qu’à voir grandir cette souche nouvelle, que le soc

  1. La situation de la Crète fut à peine touchée au Congrès. L’article 23 du traité de Berlin qui remplace l’article 15 du traité de San-Stefano dit simplement qu’on appliquera à l’île le règlement organique de 1868. On attribue à M. Waddington ce mot qu’il aurait adressé à la colonie hellénique de Paris : « Nous avons rencontré, au sein du Congrès, une volonté de fer qui nous a empêchés de nous occuper de la Crète, et cette volonté était celle de lord Beaconsfield. » Chrystaphidès, Chypre ou la Crète, dans le Correspondant du 10 avril 1895.