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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/61

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colons anglais du Massachusetts sont le fond de granit sur lequel est bâtie la nation américaine. Nous ne devons pas oublier, en effet, que de la Nouvelle-Angleterre ils se répandirent partout, défricheurs du sol, constructeurs de villes, initiateurs d’entreprises, portant au loin, avec les capitaux de Boston, la jeune civilisation née sur les rivages de l’Est. Il n’est pas surprenant dès lors que les esprits et les mœurs gardent l’empreinte des origines puritaines. Ajoutons que le développement démesuré de la vie économique, l’intensité de l’effort matériel, l’âpre lutte pour la conquête de l’argent, exigeaient un contrepoids. L’âme risquait d’être étouffée. Cet afflux de toutes les convoitises était en même temps un concours de tous les déclassés. Il devenait donc indispensable que la religion ne relâchât point sa prise et ne perdit pas son empire. Elle restait d’ailleurs, dans cette société toute pratique où ni la philosophie, ni la littérature, ni l’art ne trouvaient un milieu favorable, la seule forme possible de la vie spéculative, la seule « catégorie de l’idéal. » L’instinct de conservation poussa, plus ou moins consciemment, à la maintenir. Nécessaire et bienfaisante, pour les fins immédiates et terrestres elles-mêmes, elle garda les sympathies de ceux mêmes qui, personnellement détachés de ses credos et de ses pratiques, eussent estimé sans doute en d’autres occurrences son action déprimante ou tout au moins périmée.

De là l’ « esprit de religion, » que tous constatent en Amérique. Alexis de Tocqueville le signalait en 1835, comme une des caractéristiques de ce pays. M. Paul Adam note en 1903 la force de « l’idéal théiste. » M. l’abbé Klein, M. le pasteur Wagner s’émerveillent de la large sympathie que tous témoignent à la religion. M. Henry Bargy déclare que l’unité morale de la nation américaine « est bien une unité religieuse et une unité chrétienne. » La neutralité de l’État n’est pas une indifférence hostile, mais au contraire une bienveillance égale. Profondément religieux, il laisse à toutes les dénominations la plus absolue liberté, à l’inverse de chez nous où il est à la fois irréligieux et interventionniste. On pourrait croire, en se rappelant l’intolérance des premières générations de colons, qu’il a été conduit à cette attitude par le progrès du scepticisme : ce serait une illusion et une erreur. Si nous regardons avec soin les origines, elles ne nous montrent point un pouvoir temporel qui aurait eu d’abord, avant de les abandonner ensuite, des prétentions sur le