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aux conjurés qu’à communiquer avec Madrid par une autre voie, ce qu’ils tentèrent aussitôt, comme dernière ressource.

Au milieu de ces conjonctures, dans la maison de Mme du Maine où commence à régner l’anxiété, on veille assez gaiement, tandis que, dans sa solitude de Sceaux, le duc du Maine, tremblant d’inquiétude, attend les mousquetaires, en priant Dieu. La petite Duchesse fait bonne contenance dans son salon de la rue Saint-Honoré. C’est avec un air affecté d’indifférence que, redevenue maîtresse d’elle-même, elle accueille tour à tour les porteurs de nouvelles. Elle n’ose se soustraire à tout ce monde d’habitués devenus des curieux. Tout à coup cependant, n’y tenant plus, bien qu’elle cherche à donner le change, elle prend à part Mlle de Launay, l’emmène dans sa garde-robe, lui demande avec anxiété si elle n’a rien appris de particulier. Un courrier ! c’est la catastrophe. Porto-Carrero est arrêté. L’hôtel de l’ambassade d’Espagne est cerné ; son quartier est rempli de troupes. Stupéfaction profonde !

Deux jours après, 10 décembre, se contraignant toujours et jouant au biribi comme à son ordinaire, elle entend dire que Brigault, sa dernière ressource, s’est laissé prendre aussi après avoir nommé tous les conspirateurs, pour sauver sa tête. « C’est le plaisant de l’affaire, ajoute le nouvelliste, M. de Châtillon, on a arrêté un certain abbé Bri… Bri…[1]. Il a tout dit, et voilà des gens bien embarrassés. » Et M. de Châtillon s’esclaffe. — « Oui, répond froidement la princesse qui pâlit sous son fard ; c’est fort plaisant en effet ! » — « Oh ! cela est à mourir de rire, insiste le fâcheux. Figurez-vous ces gens qui croyaient leur affaire bien secrète. En voilà un qui en dit plus qu’on ne lui en demande, et nomme chacun par son nom. » Le dernier trait de cette scène à la Molière plonge la duchesse du Maine dans des transes d’autant plus inattendues, que, sur la foi d’un billet du comte de Laval, elle croyait hors de cause l’abbé Brigault, et ses papiers. Et tout est perdu ! Fière et cabrée, la princesse va faire encore bon visage pendant plusieurs jours. Elle se raccroche au dévouement de Mlle de Launay.

D’après la saisie de Poitiers, il fut aisé de comprendre qu’il s’agissait de faire révolter une partie du royaume et d’exciter une guerre civile générale. Cellamare écrivait à Alberoni :

  1. Mémoires de Mme de Staal.