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dix-huit mois, la louant de sa fidélité, l’assurant des « marques d’amitié » qui lui seraient prodiguées à sa sortie. Vaines promesses, qui faisaient dire plus tard à Mlle de Launay devenue Mme de Staal : « A la Bastille, ma vie était douce et tranquille, j’y trouvais même plus de liberté qu’à fa Cour de Sceaux. » Lorsqu’elle franchit de nouveau le seuil de ce palais enchanté, que devait-elle y trouver ? L’ingratitude ! Il faut l’entendre raconter sa première entrevue avec sa maîtresse : « Ah ! voilà Mlle de Launay : je suis bien aise de vous revoir ! Je m’approchai ; la Duchesse était à la promenade. Elle m’embrassa, poursuivit son chemin et ce fut tout… On me fit veiller et lire comme auparavant. » Une fenêtre et une cheminée dans sa chambre, telles furent les seules récompenses qu’obtint la pauvre fille pour sa longue prison. Ce n’est que plus tard que Mme du Maine l’éleva, par un mariage convenable, de la situation subalterne de simple femme de chambre, à la dignité de dame d’honneur que son éducation et ses qualités lui méritaient à tous égards.

Les lettres de Mme de Staal ne sont pas moins spirituelles que ses mémoires. Si elles dénotent parfois une certaine amertume, c’est que le sort d’une personne qui se sent au-dessus de sa condition est toujours pénible. La Duchesse, en lui faisant épouser un officier de fortune de son choix, n’avait-elle pas aussi envisagé la possibilité quelque peu égoïste de garder auprès d’elle une personne dont elle avait depuis si longtemps l’habitude : elle qui disait sans vergogne : « J’ai le malheur de ne pouvoir me passer des choses dont je n’ai que faire ! » S’il y a eu réellement ce calcul intéressé, il lui aurait réussi, car Mme de Staal devait mourir à Sceaux, trois ans avant sa maîtresse, toujours rivée à sa chaîne et ayant depuis longtemps renoncé au bonheur.

La Bruyère semble avoir prédit la bonne fortune de la duchesse du Maine, la maîtresse de cette fine et intelligente suivante, lorsqu’il envie la chance réservée aux grands de sentir « à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit, qui les passent même quelquefois. »


VII

Bien piteusement avait avorté la nouvelle Fronde de 1718. Elle n’avait pas eu les mêmes ressorts que la précédente. Au