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temps de l’ancienne Fronde, l’intrigue tenait à des mœurs plus fortes. Les femmes elles-mêmes mêlaient la guerre civile à l’amour. Si elles étaient les premiers instrumens de l’intrigue, l’amour prenait chez elles une sorte d’éclat imposant, et s’ennoblissait, en se mêlant aux grands intérêts de l’ambition. Elles avaient pour amans, non seulement des penseurs, mais des soldats comme La Rochefoucauld, qui s’était battu au faubourg Saint-Antoine et pouvait écrire, en parlant de sa maîtresse la duchesse de Longueville :


Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois… je l’aurais faite aux dieux.


La mesquine galanterie du XVIIIe siècle dégradait l’ambition et les ambitieux. L’amour du cardinal de Polignac et de Nicolas de Malézieux pour la duchesse du Maine, s’il a existé réellement, n’avait rien de très relevé. Il s’affirmait en petits vers et non en estocades. Ces deux personnages n’ont défendu sa cause qu’à coups de plume et ne se sont jamais battus pour la fière et spirituelle princesse : ils ont risqué seulement pour elle quelques mois de prison ou l’exil. Et encore le galant et bel auteur de l’Anti-Lucrèce ne pouvait-il pardonner à sa « reine » un an de pénitence à l’abbaye d’Anchin, où Dubois l’avait envoyé, dans le Nord. La conspiration de Cellamare eut pour principaux leviers la vanité et la fortune. Si l’on ne peut nier que ce plan ait été hardiment conçu, et que, de la part d’une femme, il ait révélé une force de volonté, une fertilité de ressources remarquables, il faut avouer aussi qu’il fit plus d’honneur à l’imagination qu’au jugement de la conspiratrice.

A comparer l’utilisation de ses moyens d’action et les résultats obtenus, on peut supposer que, mieux conduite, cette aventure eût apporté bien du trouble dans l’Etat et mis le Régent dans de terribles extrémités. Tous les documens soi-disant secrets, tombés entre les mains du gouvernement, prouvèrent l’inexpérience des conjurés : « Que dites-vous du choix que l’ambassadeur d’Espagne avait fait de ses auxiliaires ? écrivait Caumartin à la marquise de Balleroy. Je n’en ai jamais vu de si ridicules[1]. » La duchesse du Maine était une femme d’infiniment d’esprit ; mais elle eût dû rester dans sa sphère, la

  1. Correspondance de la marquise de Balleroy, par Ed. de Barthélémy (1883) t. I, p. 894.