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Si Dupleix avait eu ces qualités de bravoure et de solidité, dont il manqua, j’hésite à croire que son sort eût été meilleur. Les bureaux de la Compagnie l’auraient empêché, bien vite, de paraître de sa personne à l’armée. Et cela est encore discutable parce que cette armée était payée par la Compagnie. Dupleix aurait peut-être pu se rappeler, s’il le sut jamais, que ce fut un avocat de Venise qui décida de la bataille de Lépante.

Quoi qu’il en soit, le gouverneur de Pondichéry fut extraordinairement mal servi. De ses hommes de guerre, l’indifférence, l’avidité, l’égoïsme ont été difficilement égalés. Le moins mauvais de tous, Bussy, ne pensa jamais qu’à sa fortune, il la rendit énorme. Et encore, ces officiers pouvaient dire que, dans ces campagnes d’aventures, ils servaient non point la France, mais la Compagnie.

Les historiens modernes ont confondu toujours ces deux notions. Il ne s’agissait pas, dans la forme, d’une lutte entre l’Angleterre et la France, mais bien de guerres locales dans lesquelles les deux Compagnies soutenaient chacune leur prince. Elles marchaient donc à la solde des princes hindous, leur fournissaient des troupes, des fonds sur garanties solides. Au résumé, cette méthode n’était bonne que pour prendre pied dans le pays, car, plus tard, les Anglais, quoique vainqueurs des Français qu’ils expulsèrent, durent assurer leurs conquêtes par de nouvelles batailles. Ils gagnèrent pouce par pouce le terrain indien arrosé du sang de leurs soldats. Cet effort, je doute que la France l’ait jamais pu essayer. Quant au succès, le siège de Saint-Jean-d’Acre nous prouve ce que Bonaparte eût pu gagner en « prenant l’Inde à revers. » Les Anglais prirent l’Inde parce qu’ils étaient capables de la prendre et surtout de la garder. Et, pour tout dire, après Waterloo, je doute fort qu’on eût rendu l’Inde à la France, si elle l’eût possédée. La politique d’influence n’eût point prévalu contre la politique des résultats.

Le choix des Hindous me semble avoir été fixé peu de temps avant la chute de Dupleix, et les plus avisés l’avaient déjà escomptée. Si les Anglais eurent le meilleur, c’est qu’ils nous vainquirent à l’heure utile. Ayant pour vertus principales la mollesse et la perfidie, les Indiens ne respectent que la force et principalement celle qui leur paraît offrir des garanties de durée. Le jour où ils virent une grosse armée française mettre bas les armes sans tirer un coup de fusil, quand ils virent son