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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/73

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expliquait à M. J. Huret le président Harper, de l’Université de Chicago, « a développé le goût de la forte science et du travail méthodique... Nous devons à présent cultiver chez nous le goût de l’esthétique et de l’expression. C’est l’influence française qui nous le donnera[1]. »


VI

Si l’éducation possède une puissance incomparable pour façonner un peuple, en fondre les divers élémens, effacer les disparates, affiner sa personnalité, elle n’agit qu’à la longue et laisse ainsi subsister les nécessités immédiates qui demandent une action plus énergique et plus pressante. Chaque jour l’immigration européenne jette dans l’île d’Ellis, « antichambre de la Terre promise, » « des milliers de misères, d’énergies et d’espoirs. » Italiens du Nord et du Sud, Slovaques, Russes, Hollandais, Arméniens, Juifs, Allemands, Roumains, Grecs, Hongrois, Monténégrins, Irlandais et Scandinaves, ils arrivent et, « moyennant les deux dollars exigés comme prix d’entrée dans le Grand Cirque national, » vont se mêler au flot américain déjà chargé d’élémens étrangers. Il est venu ainsi 857 046 émigrans pendant l’année 1903, 812 870 en 1904, parmi lesquels 168 000 ne savaient ni lire ni écrire. Ce n’est pas sur ceux-là que les Universités exerceront de sitôt leur action bienfaisante. L’école primaire sera plus efficace : elle s’empare des enfans et ne perdra pas une heure. Mais les hommes, les femmes, les vieillards, les jeunes gens mêmes ? Ceux encore qui réussissent, ceux qui trouvent du travail, s’agrègent ainsi plus facilement à l’organisme social dont ils deviennent des cellules actives et vivantes, non sans l’exposer toutefois à des troubles inévitables et à des malaises. Et surtout, il reste les autres, les vaincus, les malchanceux, les incapables et les indignes. Si beaucoup retournent chez eux, ce n’est pas avant d’avoir séjourné assez longtemps en Amérique pour y constituer un danger ; et il en est plus encore qui ne repartiront pas. Comment une société tiendrait-elle contre l’encombrement d’un pareil déchet, à moins de le réduire et de l’assimiler ?

C’est ce qu’a entrepris la société américaine, avec la décision

  1. J. Huret, op. cit., II, 268.