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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/819

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entiers, sur des pentes vertigineuses, par des casse-cou effroyables, il avait relancé le plus grand de la bande qui fuyait ventre à terre et rasait la neige comme une courroie… Les dents grinçaient ; les gorges poussaient des cris rauques… Tous les corps imitaient ses mouvemens… Toutes les mains tâtonnaient vers leur couteau… Sans le clair de lune, le loup eût échappé ! Lorsque Anders le joignit enfin, l’animal éreinté se redressa et sa gueule grimaça de toutes ses dents pointues. « Il n’y avait pas près des marmites un seul œil qui n’exigeât du sang. » L’homme s’était rué : d’un coup d’épieu il l’avait étendu sur la neige, puis, de son petit couteau, il l’avait tailladé, charcuté, étripé, haché. » C’est toi qui m’as fait un pauvre Lapon, toi, toi, Satan !… » « Anders promena les yeux autour de lui comme pour chercher une place où se laisser choir… A travers une pluie de larmes, il vit sa mère et se blottit contre elle en hurlant… Tous avaient bondi sur leurs pieds ; tous parlaient et criaient… »

J’ignore ce qu’eût été son roman des paysans du Norrland ; mais ses trois nouvelles, Le Torrent, La Ronde de l’Ours, Le Fils de Gunnel, nous découvrent, sous une forme pathétique, leur existence, leur caractère, le plus secret de leur âme.

Leur existence est dure, routinière, dominée par d’énormes forces qui exaspèrent leur énergie jusqu’à la témérité, quand elles ne les immobilisent pas dans l’insouciance et l’inertie. Les fermes, recouvertes d’écaillés de bois, ont toujours l’air pauvre, même les fermes des moins pauvres. Mais la plus humble commune réserve des honneurs à ses notables. A défaut de sociabilité, on y garde le sentiment de la hiérarchie. Les villages ont leur chef appuyé sur une forte tradition de confiance et de respect ; et souvent le propriétaire d’un fjell en est appelé le roi.

L’isolement les a rompus aux longues courses. Il leur faut des jarrets souples et fermes dont le jeu régulier laisse aux poumons leur souffle égal, à la tête ses pensées libres. Salmon devra courir pendant des lieues pour ramener la sage-femme. « Et toujours lente, cette femme ! Quel sommeil lourd ! Combien de maris hors d’haleine avaient heurté à sa porte et cogné contre les murs, tandis que la sueur coulait en lignes claires sur leur visage si rarement lavé ! » De terribles imprévus leur barrent la route. C’est un ours monstrueux ; c’est un torrent dont les blocs de glace craquent, crépitent, s’escaladent et ragent. L’homme n’a pas de meilleures armes que sa décision et son sang-froid.