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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/82

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pas la nation, qui saurait continuer de vivre et de grandir malgré lui, comme elle l’a fait sans lui, riche, puissante et forte par sa seule volonté et son seul labeur. Mais si le problème politique ne nous paraît pas s’inscrire en lettres de feu sur les murs du festin colossal où sont venues réclamer leur part toutes les races du monde, peut-être n’en faudrait-il pas dire autant du problème national. L’organisme même de la nation n’est-il pas exposé à des troubles profonds, à de graves désordres, par l’afflux toujours renouvelé des immigrans, par la présence de masses inassimilables, ou qu’il faudra du moins bien longtemps pour assimiler ? il y a d’abord les dix millions de nègres. Esclaves, ils étaient en dehors d’une société dont ils font maintenant partie intégrante comme citoyens, et la question nègre est une menace permanente. On sait par quels expédiens hardis autant que hasardeux certains États du Sud ont échappé à l’imminence du péril : ils annulent en fait, par des mesures accessoires, les dispositions essentielles de la Constitution et empêchent les nègres d’user des droits qu’elle leur accorde. De tels procédés ne sont pas une solution, et d’ailleurs les lois qu’on pourrait édicter se briseraient contre les mœurs. Les plus libéraux, voire les plus « libertaires » de nos compatriotes, ont dû reconnaître un sens au préjugé dont la violence nous choque si fort à distance et que nous traitons si légèrement des hauteurs du point de vue rationnel et humain. Malgré les efforts de philanthropes, comme le général Armstrong, et d’hommes de couleur dévoués à leur race comme cet admirable Booker T. Washington, dont l’œuvre éducatrice est une merveille de sagesse et de sens pratique, il faut bien avouer que « la masse est encore ignorante et corrompue, » Même si on tient à en faire retomber toute la responsabilité « sur les générations de blancs qui ont tenu ces infortunés en esclavage, le contact n’en est pas moins désagréable pour les générations de blancs qui ont supprimé l’esclavage[1], » Et si l’on en juge par la pauvreté des résultats obtenus en un demi-siècle, si l’on considère la misérable condition des Républiques où les nègres sont maîtres absolus, — Libéria, Haïti, — il est permis de craindre que ce contact ne reste longtemps encore désagréable, et que les blancs ne soient confirmés avec quelque raison dans leur « préjugé » égoïste de

  1. Urbain Gohier, op. cit., p. 251.