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est une nouvelle ou un roman dont je regretterai toujours que la mort nous ait frustrés. C’est l’histoire d’un jeune Suédois qui, après ses années de collège, tombe dans les rêveries et, de dégoût, fuit la civilisation. Il disparaît. Huit ou dix ans plus tard, on rencontrait, à travers les communes de Laponie, un homme qui tirait un traîneau en compagnie d’une affreuse Laponne. La femme mendiait ; il la suivait silencieux, renfermé, étrange. Si on lui versait de l’eau-de-vie, il se grisait et alors se mettait à pleurer. Quand sa Laponne mourait, il en épousait une autre. Nul ne sut jamais ce qu’il pensait. Mais les gens comprenaient qu’un puissant maléfice l’enchaînait au peuple des fjells. La nouvelle qu’imaginait ainsi Pelle Molin était sans doute l’image cruellement déformée de sa propre vie. Mais il y symbolisait, dans sa manière dure, l’attirance de la terre laponne sur ses hôtes.

La première impression que j’aie reçue de cette terre fut d’une monotonie presque lugubre : des marais, des blocs erratiques, des hauteurs mornes, avec de maigres pins fichés comme des flèches, des taillis noirâtres, tout ce qui reste d’un bois incendié, et, sous un ciel d’été souvent pluvieux, des sapins en haillons. Il me souvient qu’en traversant le Cercle polaire, j’aperçus un homme qui achevait de construire sa maison près d’une mare où sa femme lavait du linge. L’idée qu’ils installaient un foyer là me serra le cœur. Insensiblement la monotonie se transforme en gravité. La couleur dominante des fjells est le violet sombre. Ils s’arrondissent ou se découpent les uns derrière les autres, à l’infini ; et du fond de l’horizon les crêtes d’un bleu noir se détachent si nettement qu’on en compterait les dentelures. Rien ne paraît vivre. Cependant, les déserts étendus à leurs pieds respirent. Ce sont les marécages qui recouvrent d’immenses espaces. Par intervalles, leur miroir brisé pétille au soleil de midi. Le soir, leurs flaques sanguinolentes luisent comme des yeux avides, et le grave paysage prend un air de folie. Tout à coup, dans une trouée de lumière, une vallée apparaît avec son lac ou son torrent et ses hautes fougères. Il ne manque à ce frais décor d’une vie pastorale que les troupeaux et les pasteurs. On y trouve parfois une cabane laponne ou une tanière d’ours. J’ai vu le lac de Torne-Träsk, la grande eau des Sagas. Les montagnes y tombent à pic ; les îlots sont des montagnes escarpées. Il semble presque inabordable. Les pierres, dont son lit de sable est nuancé, se