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plusieurs des comparses compromis dans cette dramatique affaire.

L’émotion du public n’eut d’égale que sa surprise. Son émotion était provoquée par le péril qu’avait couru Bonaparte, considéré alors comme le pacificateur du pays et déjà trop populaire pour que la France, qui n’avait pas perdu le souvenir de l’attentat de Nivôse, ne s’alarmât pas de le voir toujours menacé par le poignard des assassins. Quant à la surprise, elle tenait à l’accusation portée contre Moreau et à son incarcération qui semblait démontrer que la police possédait des preuves de sa culpabilité.

Qu’il en existât contre Cadoudal et contre Pichegru, ce n’est pas pour étonner. Le rôle du terrible chouan dans les guerres civiles de la Révolution, la conduite de Pichegru en Allemagne et en Angleterre, depuis son retour en Europe, après son évasion de Cayenne, ne justifiaient que trop les griefs qui leur étaient imputés. Mais Moreau que sa renommée, restée pure, avait placé si haut dans l’estime de ses concitoyens, qui vivait, au milieu d’eux, populaire, riche, honoré, comment admettre qu’il eût, de gaîté de cœur, compromis sa carrière et sa réputation, fait litière d’un passé d’honneur et de gloire et se fût abaissé, esclave de la jalousie et de l’envie dont ses ennemis le prétendaient animé contre Bonaparte, jusqu’à s’allier à des rebelles dont la mort du Premier Consul était le but avoué ? L’accusation portée contre lui laissait donc force gens incrédules.

D’ailleurs, quoique formulée par le gouvernement, elle apparaissait encore douteuse et vague. Elle ne devait se préciser qu’au cours de l’instruction, lorsque l’arrestation de Cadoudal, de Pichegru et de tous leurs complices eut livré au gouvernement les secrets des conspirateurs. En se précisant, elle allait perdre de son importance. Les témoignages, vrais ou faux, recueillis contre Moreau, établissaient, à la vérité, qu’ayant connu le complot, il ne l’avait pas dénoncé ; que, quoiqu’en l’an V, à l’époque du 18 fructidor, il eût déclaré que Pichegru avait trahi, il s’était ensuite intéressé à son sort ; qu’au moment où l’organisation du complot venait de ramener ce général à Paris, il l’avait vu secrètement à plusieurs reprises ; — trois fois, prétendait l’accusation, dont deux chez lui et une sur le boulevard de la Madeleine ; deux fois seulement, objectait-il, en niant la dernière, — et qu’enfin, il avait vu aussi Cadoudal. Mais il résultait des aveux mêmes de ses accusateurs que l’entente n’avait