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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/844

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travailler non pour la République, mais pour lui et qui, dans certains de ses actes, le Concordat notamment et la création de la Légion d’honneur, voyaient des preuves de son ambition. On doit même croire que Moreau regrettait de l’avoir secondé dans la journée de Brumaire, à laquelle il n’avait participé, semble-t-il, que parce qu’il était convaincu que Bonaparte était uniquement animé du désir de sauver la République en arrachant le pouvoir à la coterie incapable et méprisable qui le détenait.

À ces causes du mécontentement de Moreau, des vanités de femmes en avaient ajouté d’un autre ordre, moins graves en apparence, mais d’un effet plus immédiat, plus décisif et peut-être plus irréparable. Au mois de novembre 1800, Moreau s’était marié. A trente-sept ans, il avait épousé une belle créole de dix-neuf ans, Mlle Alexandrine Hulot, fille d’un ancien trésorier principal de l’île Bourbon. Sous l’influence de sa mère, que tous les mémoires du temps et même des traditions de famille représentent comme vaniteuse, susceptible à l’excès et rêvant pour ses enfans les plus hautes destinées, cette jeune femme ne cessait d’exciter l’animosité de son mari contre Bonaparte. Entre le ménage de Moreau et celui du Premier Consul, s’étaient élevées des rivalités, entre les épouses, des conflits de préséance, et il en était résulté des froissemens réciproques d’amour-propre, blessures que ceux qui les font ne pardonnent pas plus que ceux qui les reçoivent. Ainsi s’étaient envenimés d’une foule de menus incidens les motifs qui, peu à peu, avaient éloigné Moreau de Bonaparte et rendu le premier suspect au second.

A l’époque où, par l’intermédiaire de l’abbé David, Pichegru cherchait à rentrer en grâce, Bonaparte en voulait à Moreau ; ils ne se voyaient plus, et Moreau, devenu, moins par sa volonté que par sa faiblesse de caractère, le point de ralliement de l’opposition, ouvrant ses salons aux mécontens, tolérant les propos malveillans contre le Premier Consul, laissant dire qu’il pourrait le remplacer, était surveillé secrètement par la police. Il est d’autant moins téméraire de supposer qu’elle eut vent de la correspondance de l’abbé David avec Moreau et qu’elle soupçonna celui-ci d’intriguer avec Pichegru, que c’est la seule explication possible de l’empressement avec lequel elle saisit l’occasion de tendre un piège à l’abbé.

Désireux d’aller, à Londres, entretenir Pichegru des moyens de le faire revenir en France, il avait réclamé un passeport. On