son guide intellectuel est à cette époque Feuerbach, un disciple de Hegel, devenu matérialiste intransigeant. Feuerbach est l’ennemi juré de toute métaphysique et de toute religion. Comme les socialistes d’aujourd’hui, il ne voit dans l’idée religieuse « qu’un reste de la barbarie et de la superstition du genre humain. » Il est optimiste jusqu’à la naïveté. La perfection morale, le bonheur parfait, la société idéale se réaliseront sur-le-champ selon lui, pourvu qu’on supprime le christianisme et l’idée de Dieu. Ce qui séduisit Wagner dans Feuerbach, c’est qu’il y trouvait des armes contre l’ascétisme du moyen âge et l’hypocrisie sociale, qu’il considérait comme les obstacles principaux à son art. Lui aussi ne voyait en ce moment que le côté oppresseur et négatif du christianisme de l’Eglise, qui avait supprimé la joie de vivre, qui méprisait la beauté corporelle et empêchait l’homme d’être un artiste complet à la façon des Grecs. Tout le désir, toute la nostalgie de Wagner se détournait alors des cathédrales gothiques pour se fixer sur la Grèce. Dans son premier écrit théorique, l’Art et la Révolution, il s’écrie : « Plutôt être Grec pendant une demi-journée devant le chef-d’œuvre tragique, qu’être un Dieu non grec pendant l’éternité. » Ailleurs, il appelle la poésie chevaleresque « une honnête hypocrisie du fanatisme, une superstition de l’héroïsme qui met la convention à la place de la nature. »
Etrange anomalie, en ces mêmes années, l’artiste créateur puisait dans la tradition chevaleresque les deux sujets, où devait se révéler la plénitude de son génie dramatique et musical : Tannhauser et Lohengrin, deux œuvres d’un christianisme certainement hérétique, mais d’un spiritualisme profond et d’un mysticisme transcendant. Un mot d’abord, à ce point de vue, sur Tannhauser.
Deux courans se heurtent dans ce drame avec une extrême violence et cependant aspirent à se fondre. L’un part du monde païen et l’autre du christianisme. Le courant sensuel et le courant mystique s’étaient disputé la jeunesse de l’artiste jusqu’à faire de son cerveau un tourbillon, où les idées des deux mondes s’engouffraient pour rejaillir en un prodigieux bouillonnement. Ces deux courans contraires, il faut le dire, sont ceux-là mêmes qui se disputent l’âme du XIXe siècle, dans la science comme dans la philosophie, dans la littérature comme dans l’art et la société. Pour l’occultiste comme pour le théosophe, ce