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flattait son orgueil. Enfin la définition géniale de la musique comme une métaphysique inconsciente, comme une expression concentrée de l’âme du monde, acheva de le charmer. Il adopta aussi le pessimisme du philosophe, et sa grande œuvre de cette période en porte la trace, mais nous verrons combien elle dépasse la philosophie de Schopenhauer par les idées qu’elle renferme et par l’esprit qui s’en dégage.

J’arrive donc à l’Anneau du Nibelung, construction centrale et colossale de l’œuvre wagnérienne, pour tâcher d’en tirer la quintessence ésotérique. Les quatre drames de la tétralogie, l’Or du Rhin, la Walkyrie, Siegfried, le Crépuscule des Dieux, qui forment un tout indissoluble, nous offrent en réalité le spectacle d’une cosmogonie. Car nous passons du monde des dieux et des demi-dieux à celui des héros et des hommes. Chemin faisant, nous entrons dans le laboratoire du Cosmos, car nous voyons la naissance de l’homme dans la pensée divine, nous suivons sa destinée tragique, et avec sa fin nous entrevoyons aussi la fin des Dieux. Nous assistons donc à la création et à la fin d’un monde. De l’œuvre gigantesque je ne veux détacher ici que les idées maîtresses, qui se personnifient dans Erda, dans Wotan et dans Brunhilde.

Dans l’Or du Rhin, où s’échafaude la hiérarchie des forces en action dans l’univers, esprits de l’onde et du feu, de la terre et du ciel, nous voyons le mal entrer dans le monde avec l’or forgé par le pouvoir de la haine. Les dieux eux-mêmes en sont complices, car ils ont eu besoin de l’or pour payer le travail des géans, constructeurs du Walhalla. À ce moment, une déesse inconnue, d’une beauté grave, apparaît dans une caverne et dit au maître des dieux, Wotan, ces paroles solennelles :


Je sais comment tout était, — comment tout devient, — et je sais aussi comment tout sera. — Je suis la Mère primordiale — du monde éternel.

Tout ce qui est — finit. — Un sombre crépuscule menace les dieux. — Laisse, laisse l’anneau !


Idée transcendantalement ésotérique : Erda représente l’Ame du monde, manifestée par l’Ame de la terre. Elle se dit « la Femme éternelle, la Sagesse originaire, la Dormeuse voyante. » En elle résident les Archétypes, les modèles de tous les êtres, d’après lesquels travaillent les dieux dans l’éternelle élaboration des mondes. Cette idée d’une âme universelle, contenant les