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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/916

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et ils ne siègent presque Jamais dans les Conseils. Du reste, rien qu’à lire les rapports et les procès-verbaux, on s’aperçoit que les ouvriers manuels sont les maîtres exclusifs ; et dans l’œuvre bonne ou mauvaise, de leurs sociétés, nous devons voir le reflet exact, l’indice sûr de leurs capacités directrices.

Ainsi, l’idée, étroitement comprise, que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » a écarté des sociétés ouvrières les bommes de savoir et de loisir, sous prétexte qu’ils sont « bourgeois. » Le mode d’élection des administrateurs tend à appauvrir encore davantage la valeur de la direction sociale.

Tout d’abord, nul ne peut être candidat, s’il n’a pas fait acte de candidature : ingénieux moyen d’éliminer les modestes. Et ceux qui se présentent doivent se soumettre à une enquête sur leur « passé ; » établir qu’ils sont syndiqués, répondre parfois à des accusations d’intempérance ou de cléricalisme, se défendre d’avoir serré la main à un « ennemi de la coopérative. » Enfin, au grand jour où l’Assemblée générale tient ses assises, à l’appel de son nom, chacun d’eux doit se lever, « monter à la tribune, » et proclamer lui-même ses bonnes qualités d’administrateur. Alors, des interpellations s’élèvent, et tous ceux à qui son nez a déplu commencent à gloser sur sa conduite. S’il manque d’aplomb, son affaire est claire : sa candidature est repoussée dans un tonnerre d’applaudissemens dérisoires. On conçoit que, dans ces conditions, l’affluence de candidats sérieux ne soit pas très considérable ; et en fait, il y a fréquemment des places vides, que l’on est obligé de combler par un tirage au sort. A la Prolétarienne, de Montmartre, le « tirage à la roue » est même statutairement et régulièrement pratiqué pour un certain nombre d’administrateurs.

Un des préceptes d’une démocratie chagrine est qu’il faut « guérir des individus. » Peut-être vaudrait-il mieux apprendre à les connaître, afin de n’être pas obligé d’en guérir. En tout cas, cette maxime est fort en honneur dans les coopératives socialistes : aucune n’a de président, car le président pourrait incarner la société aux yeux de tous, et prendre une autorité dangereuse. Les affaires courantes sont expédiées par un secrétaire, un administrateur délégué, ou un administrateur de semaine. Quant aux séances du Conseil, elles sont présidées à tour de rôle par tous les administrateurs, même par ceux qui