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que dans ses « diableries, » jamais Breughel ne nous laisse apercevoir un sens bien original d’ironie, et la verve du « moraliste » est souvent, chez lui, assez pauvre. L’intention comique, l’élément « littéraire » qui contribue à rendre plaisans les farces ou les cauchemars des « drôles » néerlandais d’avant et d’après lui, nous sentons qu’il s’évertue en vain à les imiter. Jusque dans les sujets les plus extravagans, tout notre plaisir est d’ordre purement « pictural. » Le paysan brabançon ne connaît au monde qu’une seule chose, qui est son métier de dessinateur et de peintre ; et lorsqu’il parvient à nous faire sourire, ce n’est point de ses idées que nous sourions, mais simplement du caprice burlesque de sa plume ou de son pinceau. En vrai peintre, il ne sait « inventer » que des lignes et des mouvemens : de telle sorte que ses enfers et ses moralités, au lieu de nous effrayer ou de nous instruire, nous ravissent surtout par la hardiesse, la fécondité, le piquant imprévu de leur exécution.


Et bientôt Breughel se fatigue de la « drôlerie. » Un nouveau changement se produit, dans son art, dont la date coïncide avec celle de deux événemens considérables de sa vie privée : son mariage et son installation à Bruxelles. C’est en 1563 que, ayant épousé la fille de son premier maître Pierre Coeck, il quitte Anvers pour venir demeurer, désormais, dans la ville habitée par la famille de sa jeune femme ; et comme nous le voyons, à peu près vers le même temps, renoncer tout d’un coup aux sujets comiques de la période précédente, M. Van Bastelaer en conclut, avec grande apparence de raison, que la « transplantation » du peintre à Bruxelles a exercé une influence décisive sur l’évolution de son goût esthétique. Mais la « chronologie » de son œuvre nous apprend que le changement décisif qui s’est manifesté dans cette œuvre en 1563 avait commencé, déjà, dès les années précédentes, et que son mariage, avec la « transplantation » qui l’a suivi, n’ont eu pour résultat que de terminer une crise antérieure, tendant à délivrer Breughel de la servitude du genre « plaisant, » comme il s’était délivré, naguère, de la contrainte du style « académique. » Car voici que, petit à petit, en 1561 et 1562, l’imitateur de Bosch revient à une occupation abandonnée depuis des années : délaissant la caricature, il dessine une seconde série de paysages romantiques, non plus destinés à être reproduits en gravure, mais évidemment conçus à titre d’études, pour servir de fonds à des tableaux d’histoire. Et, en fait, la destination de ces études se révèle à nous dans les premiers tableaux peints par Breughel après son