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ottomane a remis tout en question, la Jeune-Turquie ayant fait connaître son intention de soumettre cet iradé impérial, et quelques autres encore, à la sanction parlementaire. C’était de sa part une imprudence, et la Jeune-Turquie en a commis malheureusement quelques autres du même genre. Ne voyant que la générosité et la pureté de ses intentions patriotiques, elle ne s’est pas suffisamment préoccupée des inquiétudes qu’elle faisait naître chez certaines puissances, naturellement soucieuses de leurs propres intérêts. Qui sait si l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie n’est pas la réplique de M. le baron d’Ærenthal à la décision de la Jeune-Turquie au sujet du chemin de fer de Mitrovitza ? Le ministre autrichien n’est pas homme à rester sur un échec, il recherche le succès, il le veut à tout prix. Il n’a d’ailleurs pas renoncé à son chemin de fer. « Le tracé, a-t-il dit aux Délégations, en est terminé et doit être soumis à une nouvelle révision touchant la partie financière. » Et, dans une autre partie de son discours, M. le baron d’Ærenthal adressant à la Porte des conseils d’une bienveillance impérieuse, lui promet son appui « dans une mesure d’autant plus large, dit-il, qu’elle aura observé une attitude plus amicale à notre endroit et reconnu le bien fondé de nos intérêts. » M. d’Ærenthal ne se contente pas des dépouilles de la Porte, il veut encore son amitié, il exige même qu’elle reconnaisse qu’il a eu raison de la dépouiller.

Bien que la proclamation de l’indépendance bulgare ait précédé de quelques heures l’annexion des provinces turques à l’Autriche, on peut dire que ceci a réellement engendré cela. Mais il n’y a pas dans la nature de génération spontanée, et rien n’était mieux préparé que l’affaire bulgare ; la plus petite secousse devait déclencher le mouvement. Au cours de ses nombreux voyages dans l’Europe occidentale, le prince Ferdinand ne s’était pas fait défaut de dire qu’étant le chef des Bulgares il était bien obligé de les suivre, et que, s’il ne les suivait pas, il pourrait en résulter pour lui des désagrémens très fâcheux. Les mœurs de la Bulgarie sont encore très rudes : elles comportent des mesures qui ont cessé d’être en usage dans des pays plus occidentaux, et dont la moindre aurait été une révolution où le prince aurait pu perdre sa couronne princière, faute d’avoir montré assez d’audace pour en accepter ou pour en prendre une de roi.

Il faut d’ailleurs rendre aux Bulgares, et nous l’avons fait souvent, la justice qu’ils méritent : ils sont un peuple sérieux, laborieux, courageux, tenace dans ses projets et encore plus dans son action, qui dispose d’une force militaire très respectable et qui a