Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre mieux, car nous n’avons pas, au surplus, attendu la fameuse question, nous sommes allés au-devant : « Agir, mais en a-t-on le droit ? » Notre réponse immédiate a été, notre réponse délibérée continue d’être : « Scrupule honorable, mais un peu naïf et un peu tardif : dans les temps de révolution, toutes les questions se posent non en droit, mais en fait. Celle-ci la première, et, quoi qu’on en puisse penser en droit, qu’elle se pose inévitablement en fait, par cela seul elle est tranchée, sommairement, mais définitivement. En fait, demander : « En a-t-on le droit ? » se ramène à demander : « Le peut-on ? » ou plutôt : « Peut-on ne pas agir ? » Mais qui est-ce que « On ? » L’Etat. Et quel État ? Non pas l’Etat idéal ou abstrait ; non pas une forme quelconque, une construction, une vision, une imagination, — le chameau, la belette, le nuage de Polonius, — non pas une fantasmagorie, mais bien une catégorie : l’Etat moderne, l’Etat démocratique, nécessairement, inévitablement démagogique, poussé d’en bas, dans les deux acceptions que « poussé » peut revêtir ici, « poussé » comme une plante et « poussé » par une force, ayant pour base l’égalité des citoyens, pour instrument la loi, pour moteur le suffrage universel ; l’Etat du Peuple « misérable et souverain, » du Nombre « malheureux et législateur. » Nous ne savons pas, nous ne cherchons pas à savoir si l’Etat en soi, dans un temps incertain et dans un pays inconnu, dans l’hypothèsex ou y, devrait agir. Nous disons qu’à cette heure, chez nous, cet Etat, notre Etat, fait comme il est fait, ne peut pas ne pas agir : nous ne plaçons pas le législateur en face de « son devoir, » nous nous plaçons en face de la réalité. J’observe ce qu’est l’un, ce qu’est l’autre ; je pèse le premier, qui est lourd de tout le poids du suffrage universel, le second, qui est léger de tout le creux de sa fragilité électorale ; je dégage le rapport, et je retiens le fait, puisque, après tout, lui aussi, l’Etat moderne est un fait.

Partout et toujours, — que, cette fois, ce soit entendu, — le souci, l’unique et exclusif souci du fait. Il était superflu, de nous rappeler à Tordre. « On est ici dans le domaine des faits, et les intentions comptent peu au point de vue des résultats Les répercussions économiques n’obéissent pas aux désirs des cœurs, et dire que « la politique moderne a le devoir d’adoucir « les maux qu’engendre la lutte entre individus et individus ; » ce n’est pas dire qu’elle le peut, ni comment elle le peut, et cela