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fini par se glisser dans le bataillon doré, au grand scandale d’Auguste Comte : « Nos législateurs métaphysiciens ont introduit, il y a quelques années, dans la loi électorale française, une étrange disposition qui admet la qualité d’académicien à compter désormais pour 100 francs dans le cens électoral, sauf à compléter en espèces le reste de la capacité, etc.[1]. » D’autre part, des Français qui ne payent pas 200 francs de contributions directes et qui ne deviennent citoyens actifs que par la grâce du suffrage universel ; ils sont environ huit millions, soit une trentaine de fois plus. Néanmoins, on peut ne pas payer 200 francs de contributions et n’être pas absolument pauvre ; mais je n’ai pas dit qu’on le fût si on ne les payait pas. Tout ce que je dis, c’est que ceux qui ne les payaient pas et qui, ne les payant pas, n’étaient pas électeurs sous le régime censitaire, ceux-là, de toute évidence, n’avaient pas l’argent ; et que, ne l’ayant pas, ils étaient naturellement portés à se ranger, dans l’éternel et universel classement des hommes en partis, du côté de ceux qui ne l’avaient pas, qu’ils étaient d’instinct opposés à ceux qui l’avaient, et qu’ils étaient incomparablement le plus grand nombre.

Aujourd’hui, le corps électoral, sans élargissement nouveau, par le simple effet de l’accroissement normal de la population, est passé de huit millions à plus de onze millions. Voilà le nombre ; mais ce total, ainsi énoncé, ne nous dit rien : il faut que l’analyse nous découvre quel est le plus grand nombre, le grand nombre, le nombre du Nombre. Il ne nous sera pas possible d’apporter les chiffres précis et contrôlés que nous voudrions, faute d’un tableau statistique indiquant la répartition des électeurs par profession. Ce tableau m’avait grandement manqué, il y a une douzaine d’années, quand je commençai, avec l’Organisation du suffrage universel, mes recherches sur la Crise de l’Etat moderne ; je l’ai réclamé vainement ; on n’a pas pu alors, on ne peut pas encore me le fournir, et je dois reconnaître que les raisons qu’on en donne ne sont pas sans force. Il est manifeste, entre autres choses, qu’une telle fantaisie préside aux qualifications inscrites sur les listes électorales, qu’un relevé professionnel fait d’après ces listes mêmes ne serait en quelque sorte qu’une longue erreur. Mais enfin, cette

  1. Cours de philosophie positive, t. IV. 46e leçon, p. 170, note.