souveraineté abstraite et métaphysique de la nation, en quelles personnes de chair et d’os, en quelles gens de quel métier s’in-carne-t-elle ? Où ces personnes, j’allais dire « réelles, » il vaut mieux redoubler et dire : où ces personnes « personnelles » du souverain sont-elles socialement situées ? Que font-elles dans la vie de chaque jour ? Le pain quotidien, d’où le tirent-elles ? de quelles ressources, de quel travail ? Et par là comment se classent-elles socialement et politiquement ? Les enquêteurs officiels, si curieux de tant de détails, avouent leur impuissance à nous procurer un renseignement exact et direct sur ce point, qui se trouve être un des plus importans où nous ayons besoin de leurs lumières ; nous, c’est-à-dire tous ceux qui voient en ses données multiples le double problème de ce temps. D’où la nécessité, pour s’éclairer tant bien que mal, de se livrer à toute espèce de supputations, qui, même méthodiquement menées, ne doivent aboutir qu’à des résultats, non pas tout à fait inexacts, peut-être, mais indirects, et, en mettant les choses au mieux, aussi incomplets qu’approximatifs. Le sage se contente de peu. Nous sommes encore très médiocrement outillés dans le domaine des sciences sociales et politiques.
En feuilletant l’Album graphique de la statistique générale de la France, Résultats statistiques du recensement de 1901, publié en 1907, et qui est, si je ne me trompe, le. document le plus récent dont nous disposions, il apparaît que « la population active totale » de la France, — autrement dit : la population occupée à des travaux professionnels quelconques, — était, en 1901, de 19 715 000 personnes, sur lesquelles 4 866 000 chefs d’établissement, en regard de 10 360 000 employés et ouvriers, à qui il y a lieu sans doute d’ajouter 4 130 000 travailleurs isolés et 315 000 chômeurs. Ici, de bonnes définitions seraient nécessaires, surtout celle du « travailleur isolé » et celle du « chef d’établissement. » Pour l’Office du travail, le « travailleur isolé » est donc l’artisan et le façonnier travaillant sans aide ni compagnon, l’ouvrier, travaillant généralement à domicile ; le « chef d’établissement » doit s’entendre même des plus petits établissemens, dont les « chefs » sont nécessairement dans une situation mixte et intermédiaire, à demi patrons, à demi ouvriers, et tantôt plus patrons qu’ouvriers, tantôt plus ouvriers que patrons. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les « travailleurs isolés » se rencontrent principalement dans les groupes professionnels de