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n’irai au-devant de personne. » Ses collègues d’Autriche et de Prusse, avec lesquels il devait agir de concert, en étaient au désespoir et lui exprimaient leurs sincères regrets. « Nous sommes désolés, » disaient-ils au représentant de la Russie, « de voir la situation dans laquelle vous vous trouvez. Conformément aux instructions de nos cours et en vue de l’intérêt qu’elles ont naturellement de connaître les pensées et les vues de Louis-Philippe, nous ne saurions changer nos relations personnelles avec lui. Par conséquent, notre conduite diffère de la vôtre. Cette différence sera remarquée dans le public, et particulièrement par nos ennemis communs. » Le comte Pahlen était troublé, démoralisé. Faisant la part du feu : « S’il ne s’agissait que de mes goûts, » écrivait-il, « j’aurais plutôt à me féliciter d’éprouver moins de gêne en me tenant éloigné d’une cour et de personnes aussi opposées à mes opinions qu’à mes sentimens. Mais il me paraît que ce n’est pas l’attitude qui convient au représentant d’un grand souverain apprenant indirectement et imparfaitement ce qu’il plaît à d’autres de lui communiquer. » Ces inconvéniens, l’empereur Nicolas Ier semblait vouloir les ignorer. Sur le rapport de novembre, il inscrivit de sa propre main la résolution suivante : « Pahlen ne doit faire aucune avance, mais aussi nullement repousser les avances du Roi. Se rendre chez lui, s’il y est invité une fois pour toutes, rentrer dans un devoir de politesse dont il doit s’acquitter ; mais il ne doit s’engager dans des conversations d’affaires que si le Roi les commence lui-même. »

Le comte, Pahlen eut bientôt l’occasion de montrer comment il comprenait son rôle à la cour des Tuileries. Leduc de Broglie prononça en janvier 1836 un discours à la Chambre des députés dans lequel il déclarait « déplorable » la victoire remportée par l’armée russe sur les insurgés polonais. L’ambassadeur résolut aussitôt de s’adresser directement au Roi pour demander des explications et réclamer satisfaction de l’offense portée à l’armée russe. Il profita, pour avoir cet entretien, d’une soirée musicale aux Tuileries, à laquelle il était convié et demanda au Roi s’il avait lu une dépêche qu’il avait communiquée au duc de Broglie et dans laquelle le Cabinet impérial exprimait sa ferme intention d’entretenir les meilleures relations avec la France. Le Roi répondît avec surprise qu’il n’en avait pas connaissance quoiqu’il eût travaillé ce même jour assez longtemps avec le duc. « Je laisse à votre jugement, Sire, » dit le comte Pahlen, « à