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Elle non plus, Mme Réjane n’est pas une spécialiste des rôles aristocratiques. Elle n’est pas très grande dame, mais elle est suffisamment touchante et mère éplorée, sous les traits de la duchesse de Croucy. M. Gauthier, — si admirable dans le Divorce ! — nous a plu encore dans le rôle du prince de Clare, par son naturel, son emportement, et une sorte de sécheresse bien d’aujourd’hui. Louons M. Signoret du tact avec lequel il a composé le personnage de Guttlieb.


Sentimental et gai, c’est décidément la formule adoptée aujourd’hui pour le théâtre en vers. Il nous faut bien la subir, et constater qu’elle agrée au public, puisqu’il vient encore d’accueillir avec faveur le bon Roi Dagobert. Ce Dagobert est celui de la légende ou plutôt de l’imagerie d’Épinal. Nous nous attendions à voir en lui un pauvre d’esprit, un niais, une girouette ; on nous l’a changé en un rêveur et en un amoureux volage ; inclinons-nous devant les droits de la poésie ! M. André Rivoire est un poète délicat, d’inspiration discrète et mélancolique. Il a voulu cette fois s’essayer dans la drôlerie, et celle-ci par le temps qui court n’allant guère sans un peu de grivoiserie, il s’est mis au travail consciencieusement, en homme décidé à faire tout son devoir. Après de laborieuses préparations, il est arrivé enfin à nous montrer le roi Dagobert, la nuit, entre deux femmes et cherchant sur les lèvres de l’une le goût des baisers de l’autre. C’est un effet de vaudeville qui à notre avis n’appelait pas nécessairement le vers ; cette situation de Palais-Royal nous a légèrement déconcertés dans le cadre de la Comédie-Française. Et cela a quatre actes. Pour une bluette, c’est un peu long.

L’excellente interprétation de la Comédie-Française a très heureusement servi la pièce de M. Rivoire. Le rôle du bon roi Dagobert est fait, je ne dirai point à la taille, mais à la mesure de M. Berr qui y montre une fertilité de ressources des plus remarquables. M. Leloir nous a présenté du bon saint Éloi une effigie qui est parfaite de relief caricatural. Mlle Leconte est la poésie et la tendresse même dans le rôle de l’esclave Nantilde. Tous les autres s’acquittent à souhait de leur emploi


RENE DOUMIC