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Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/31

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français et à le convaincre qu’il n’entrait pas dans les intentions du gouvernement russe d’isoler la France. En dehors de cela, était-il dit dans ces instructions, « le gouvernement français n’ignore sûrement pas que, si nos vues à l’égard de la Turquie ont été plus d’une fois dénaturées en Angleterre, celles qu’il peut avoir sur l’Egypte n’y sont point à l’abri de tous soupçons. Plus d’une voix s’y est élevée pour signaler à la vigilance de la nation les projets futurs de la France sur la Méditerranée, et son intention supposée de faire un jour de l’Egypte, constituée en État indépendant, un poste avancé contre la Grande-Bretagne… »

Le comte Pahlen arriva à Paris au commencement d’avril et fut reçu aussitôt par le Roi et son premier ministre Thiers. Le Roi chercha à convaincre l’ambassadeur de la nécessité absolue d’en finir au plus vite avec la question d’Egypte et de faire quelques concessions à Mehemet-Ali. Personne ne saurait le contraindre à arrêter la marche de son armée. L’entretien de l’ambassadeur avec Thiers présenta plus d’intérêt. Le comte Pahlen s’appliqua à démontrer que la politique russe ne poursuivait d’autre but en Orient que le rétablissement de la paix et la conservation de l’Empire Ottoman. Thiers répondit : « Le gouvernement du Roi est sincèrement disposé à contribuer de tous ses moyens à amener cet heureux résultat. Mais en politique l’on ne doit pas entrer dans une allée sans en voir le bout. Or, en poussant le vice-roi à l’extrémité, on risquerait un coup de tête de sa part : le passage du Taurus peut-être. Je ne suis ni Égyptien, ni Turc. Je n’articule aucune proposition, mais je suis prêt à les examiner toutes et à approuver celles qui me paraîtront acceptables. Une fois d’accord avec les autres Cabinets, je prends l’engagement formel d’user de toute l’influence de notre parole, et même du langage le plus comminatoire pour porter Mehemet-Ali à se soumettre à nos décisions communes. » Toutefois, lorsque le comte Pahlen demanda à Thiers s’il consentait à prendre part aux mesures de coercition contre le vice-roi, le ministre français répondit évasivement. Il était convaincu que Mehemet-Ali restituerait à la Porte les territoires et les îles envahis, et qu’il se contenterait du Taurus comme frontière. Mais il exprimait surtout la ferme assurance que, sans le concours de la France, les grandes puissances ne réussiraient jamais à exécuter un projet quelconque de pacification de l’Orient. On comprendra dès lors facilement l’impression foudroyante que