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de l’échec complet de la mission du baron Brunnow. Mais bientôt des faits incontestables vinrent confirmer l’accord intervenu et le succès éclatant du diplomate russe. On apprit du gouvernement anglais lui-même que l’Angleterre et la Russie avaient résolu d’appliquer, au besoin, des mesures de coercition contre Mehemet-Ali, s’il ne consentait pas à s’arrêter à temps et à se soumettre à la volonté des grandes puissances de l’Europe. Les sentimens du Cabinet des Tuileries à l’occasion de la mission du baron Brunnow avaient d’ailleurs une cause sérieuse et rationnelle. Le gouvernement français se trouvait dans les relations les plus amicales avec l’Angleterre, et cette amitié lui servait d’appui solide contre l’action malveillante de la Russie. Si l’Angleterre passait dans le camp russe, le complet isolement politique de la France devait en être la conséquence inévitable. L’émotion était très vive en France, et tout lui servait d’aliment, les relations de la France et de la Russie étant de plus en plus tendues. Le Roi se plaignait au comte Medem des dispositions russophobes qui s’étaient emparées de la société française, mais il avouait son impuissance à les contenir. Malgré son animosité contre Thiers, il se trouva obligé en mars 1840 de lui confier le soin de former un nouveau ministère. Thiers prit le portefeuille des Affaires étrangères. Le comte Medem, inquiet de la tournure que prenaient les choses, exprimait des regrets au sujet de la mission du baron Brunnow ; il ne l’approuvait pas d’une manière absolue et aurait désiré que le Cabinet impérial se fût préalablement entendu avec le gouvernement français à ce sujet. « Ce n’est certainement pas notre faute, » lui écrivait le comte Nesselrode, « si les Français sont vaniteux et susceptibles. Si nous avions commencé par eux, l’Angleterre se serait irritée, et nous aurions rencontré sur le terrain de Londres les obstacles qui nous viennent aujourd’hui de Paris. C’est un cercle vicieux dont il eût été difficile de sortir avec des hommes aussi peu raisonnables et aussi peu pratiques que ceux qui, dans la plupart de l’Europe, sont aujourd’hui à la tête des affaires. Cependant, je dois convenir que, dans cette question-ci, j’ai trouvé plus de logique et de bon sens en Angleterre qu’en France. »

Le comte Pahlen était en congé quand il quitta Saint-Pétersbourg pour revenir à Paris ; il fut muni d’instructions qui lui recommandaient de chercher à rassurer le gouvernement